Préface de Roland Gori Face à la montée en puissance du naturalisme (qui veut rendre compte du mental par la méthode des sciences naturelles et de ses données matérielles, en transformant des propriétés cognitives en propriétés naturelles), les psychanalystes doivent continuer à développer un questionnement sur les conséquences d'une science sans sujet de la connaissance, sur la construction des subjectivités et sur le sujet de la psychanalyse. C'est à ce débat épistémologique sur la place du cogito dans la recherche scientifique que nous convie l'auteur en s'appuyant sur ses recherches psychanalytiques sur l'adolescence, le père, l'autorité, la violence. L'enjeu pour la psychanalyse est d'y faire entendre que le sujet cartésien est le présupposé de l'inconscient.
Ce livre aborde, en relation avec le terrorisme et à partir de la psychanalyse, la psychologie collective et individuelle contemporaine, telle qu'elle se révèle notamment dans les cures. Il ne se présente pas comme un ouvrage de géopolitique et ne vise pas à expliquer les causes de la guerre très particulière qui est menée sur notre sol. Ses auteurs, psychanalystes, sont partis de l'effet traumatique de ces événements sur certaines victimes et sur leurs analysants, et cela les a conduit à réinterroger, à partir d'une révision de la notion de traumatisme, les éléments qui peuvent s'y rattacher, à commencer par les formes inquiétantes que prend la pulsion de mort dans notre monde ultra-libéral.
La réflexion psychanalytique croise, sur ce sujet, celle des philosophes qui éclairent aujourd'hui la diffusion de guerres très diverses, à commencer par la « guerres des identités » où chacun cherche la reconnaissance de son particularisme sans se soucier d'une hégémonie démocratique qui permettrait d'aller au-delà des différences identitaires.
On aura compris qu'il s'agit ici de rendre compte de ce qui apparaît comme un véritable trauma dans la civilisation.
En clinique, comme dans toute discipline élaborée, les faits ne se présentent pas à nous spontanément. Ils sont tributaires du discours qui les décrit, même et surtout lorsqu'on prétend les décrire indépendamment de toute théorie et de tout point de vue. Pas de faits cliniques sans cliniciens, donc. Et pas de cliniciens désengagés des liens transférentiels, ignorants de la fonction subjective, ou dissociés des situations cliniques dont ils sont responsables. Les textes ici rassemblés témoignent, chacun à sa manière, des nécessités et de la responsabilité dont le clinicien a la charge.
La littérature a été pour la psychanalyse, au même titre que la mythologie et le folklore, l'objet d'une démarche d'application, créditant alors le poète ou le dramaturge de discerner les fantasmes et les conflits inconscient avec un temps d'avance sur le clinicien. Au delà de la question du texte, c'est bien la dimension de l'écrit qui interroge la clinique. Que la clinique soit lecture est ce que les responsables de ce numéro ont tenté d'illustrer.
L'adolescent est à l'image de notre société. Il agit avec violence ce que les parents n'osent pas dire, car il traduit en actes à la fois nos idéaux, nos refoulements comme aussi bien notre déni de certaines réalités. Ainsi, hélas, la guerre civile au Liban, et ailleurs, nous a montré que les adolescents étaient à la fois les victimes et les instruments de notre idéologie. Placé en cette position, au carrefour de l'engagement de l'être dans la société, l'adolescent pose les questions fondamentales pour la constitution du lien socio-familial. Faute d'un Autre pour répondre à ses questions, il n'a d'autres alternatives que la violence et l'addiction. Ces manifestations violentes convergent vers la défaillance symbolique de la fonction paternelle dans notre société. Cette défaillance n'a rien de commun avec quelques nostalgies d'un père idéal.
La recherche clinique atteste que toute recherche authentiquement psychopathologique provient de la clinique et ne saurait se réduire à des recherches sur la clinique. Cette recherche doit relever aujourd'hui deux défis : le premier concerne la nécessité devant laquelle elle se trouve de devoir réviser les conditions d'un travail psychanalytique en réponse à de nouvelles demandes sociales ou à des situations extrêmes éloignées du cadre traditionnel du dispositif de la cure ; et le deuxième défi concerne plus particulièrement la place de la psychanalyse et des psychanalystes à l'Université et dans la communauté scientifique.
Enseigner la psychopathologie clinique dans les universités de psychologie et de médecine peut sembler une évidence historique. Cela ne va plus de soi aujourd'hui. Ce dossier rend compte de l'exigence d'une clinique du cas qui ne se laisse pas réduire à une évaluation des troubles, de l'humeur ou des performances. Les mutations sociales et anthropologiques, les avancées scientifiques rendent nécessaire un tel projet. Ce dernier ne pourra se faire sans une rigueur épistémologique qui doit refuser toute naturalisation du fait psychique.