Foucault et Bourdieu ont tous deux désigné leur époque comme celle du néolibéralisme. Un terme qui caractérise toujours parfaitement la nôtre. En prenant soin de suivre le contexte propre à chacun, Christian Laval relève, parmi les analyses des deux intellectuels, ce qui se révèle essentiel pour comprendre et combattre cette longévité.
Deux des intellectuels français parmi les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle, Michel Foucault et Pierre Bourdieu, ont choisi de caractériser - le premier à la fin des années 1970, le second dans les années 1990 - le moment historique qu'ils traversaient par le même concept : " néolibéralisme ". Pour autant, leurs parcours théoriques et leurs styles de recherche se sont révélés très différents et, surtout, ils ont l'un et l'autre laissé inachevés leurs travaux sur cette question, rendant cet ouvrage, véritable enquête sur leurs enquêtes, indispensable.
La grande force de ce livre est de faire comprendre, dans une démarche à la fois politique et pédagogique, l'originalité et la cohérence de chacune d'elles, sans oublier leurs points aveugles et leurs limites. L'ouvrage montre en quoi Foucault et Bourdieu éclairent de façon à la fois différente et complémentaire ce qu'est le néolibéralisme.
Et comme celui-ci se prolonge d'une manière à la fois plus manifeste, plus radicale et plus violente, leurs analyses s'avèrent incontournables pour comprendre le mode de pouvoir actuel et pour rouvrir la question : quelle nouvelle politique faut-il inventer pour mener ce combat central du XXIe siècle ?
Partout dans le monde, des mouvements contestent l'appropriation par une petite oligarchie des ressources naturelles, des espaces et des services publics, des connaissances et des réseaux de communication. Ces luttes élèvent toutes une même exigence, reposent toutes sur un même principe : le commun.
Pierre Dardot et Christian Laval montrent pourquoi ce principe s'impose aujourd'hui comme le terme central de l'alternative politique pour le XXIe siècle : il noue la lutte anticapitaliste et l'écologie politique par la revendication des " communs " contre les nouvelles formes d'appropriation privée et étatique ; il articule les luttes pratiques aux recherches sur le gouvernement collectif des ressources naturelles ou informationnelles ; il désigne des formes démocratiques nouvelles qui ambitionnent de prendre la relève de la représentation politique et du monopole des partis.
Mais, selon les auteurs, le commun ne tient ni de l'essence des hommes ni de la nature des choses, mais de l'activité des hommes eux-mêmes : seule une pratique de mise en commun peut décider de ce qui est " commun ", réserver certaines choses à l'usage commun, produire les règles capables d'obliger les hommes. En ce sens, le commun appelle à une nouvelle institution de la société par elle-même : une révolution ?
Il est courant de déplorer le déclin de la souveraineté de l'État-nation, qui semble devoir être aujourd'hui supplantée par la puissance du capital mondial. Restaurer la verticalité de l'État et son autorité serait ainsi la seule voie pour contester le globalisme néolibéral. C'est contre cette illusion, encore trop répandue à gauche, que Pierre Dardot et Christian Laval ont entamé ce long parcours dans l'histoire complexe et singulière de l'État occidental moderne, depuis sa naissance à partir du modèle de l'Église médiévale jusqu'à son rôle actuel d'État-stratège dans la concurrence mondiale.
Comprendre les aléas et les détours de cette construction, c'est mettre à nu les ressorts d'une domination sur la société et sur chacun de ses membres qui est fondamentalement de l'ordre de la croyance : les " mystères de l'État ", le culte de sa continuité qui oblige ses représentants par-delà leur succession, la sacralité dont ces derniers aiment à s'entourer dans l'exercice de leurs fonctions, autant d'éléments qui ont pu changer de forme, mais qui demeurent au principe de sa puissance. En retraçant cette généalogie, il s'agit pour les auteurs de montrer que l'on ne peut répondre aux défis de la mondialisation capitaliste et du changement climatique sans remettre en cause cet héritage. Car l'invocation de la souveraineté " nationale " est devenue l'alibi de l'inaction climatique et de la perpétration des écocides.
Pour affronter ces enjeux globaux, il est indispensable de s'attaquer à un tel régime d'irresponsabilité politique qui dispense les gouvernants de rendre des comptes aux citoyens. C'est dire qu'il faut ouvrir la voie à un au-delà de la souveraineté étatique.
Comment éduquer aujourd'hui ? Pour contribuer à quel monde ? Il est plus que temps de concevoir l'éducation démocratique dont nous avons besoin pour envisager un avenir désirable et une Terre habitable !
Pour préparer l'école démocratique de demain, cet ouvrage dégage cinq principes, tous liés entre eux et qui se déploient sous forme de propositions concrètes :
liberté de penser (création d'une institution de type fédératif, intégrant tous les enseignants et visant à protéger les libertés académiques des pressions de la part des pouvoirs organisés) ;
égalité concrète dans l'accès à la culture et à la connaissance (lutte contre les inégalités sociales et territoriales) ;
définition d'une culture commune (à l'heure de l'urgence écologique, du féminisme et de la reconnaissance de la pluralité des cultures) ;
pédagogie de la coopération (mise en oeuvre du meilleur des pédagogies émancipatrices, celles de Dewey, Freinet, Oury ou Freire) ;
autogouvernement des écoles et des universités (en tant que communs éducatifs permettant l'expérience réelle de la démocratie).
Ce livre offre un projet systémique qui considère les institutions d'éducation comme un tout, depuis l'école élémentaire jusqu'à l'enseignement supérieur, et ne sépare pas la transformation de l'éducation de celle de l'ensemble de la société. Son ambition est de dessiner les traits fondamentaux d'une éducation démocratique encore à venir, et de l'inscrire pleinement dans une société solidaire, écologique et égalitaire.
Ce livre montre de manière incisive que, depuis la fin des années 1970, la mise en place progressive d'une " économie de la connaissance " vise précisément à faire l'économie de la connaissance, c'est-à-dire à se passer de la connaissance lorsqu'elle n'a pas de valeur marchande à court terme.
Ce qui ressemble aujourd'hui à un sabotage de l'école - suppressions de classes, réduction des effectifs enseignants et appauvrissement de la condition enseignante - ne suffit pas à caractériser la mutation historique de l'école. Celle-ci ne joue plus seulement une fonction dans le capitalisme, comme l'ont montré les analyses critiques des années 1970 : elle se plie de l'intérieur à la norme sociale du capitalisme. L'" employabilité " est le principe et l'objectif de la normalisation de l'école, de son organisation et de sa pédagogie. L'école devient peu à peu un système hiérarchisé d'entreprises productrices de " capital humain " au service de l'" économie de la connaissance ". Elle cherche moins à transmettre une culture et des savoirs qui valent pour eux-mêmes qu'elle ne tente de fabriquer des individus aptes à s'incorporer dans la machine économique. Les effets inégalitaires de la concurrence, la mutilation culturelle introduite par la logique des " compétences " ou la prolétarisation croissante du monde enseignant révèlent la perte d'autonomie de l'école par rapport au nouveau capitalisme et aux luttes des classes sociales autour de l'enjeu scolaire. Dans ce livre de combat et de théorie, les auteurs renouvellent la sociologie critique de l'éducation en inscrivant les mutations de l'institution scolaire et universitaire dans celles du capitalisme contemporain. Ils entendent ainsi donner à tous ceux qui se sentent concernés par cette problématique éminemment politique les outils d'analyse pour construire une alternative convaincante et résolue.