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Eric Chevillard
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Il m'a été confié et j'ai accepté de le garder en observation. On aura estimé à juste titre que j'étais le seul qualifié pour mener à bien cette étude. Il est maintenant là, devant moi, étrangement mobile, brûlant d'on ne sait quelle ardeur.
Curieux sujet, décidément. Je vais prendre bien soin de lui. -
Si Ronce-Rose prend soin de cadenasser son carnet secret, ce n'est évidemment pas pour étaler au dos tout ce qu'il contient. D'après ce que nous croyons savoir, elle y raconte sa vie heureuse avec Mâchefer jusqu'au jour où, suite à des circonstances impliquant un voisin unijambiste, une sorcière, quatre mésanges et un poisson d'or, ce récit devient le journal d'une quête éperdue.
« Ronce-Rose s'ouvre comme un journal intime tenu par une petite fille avant de laisser place à une intrigue plus linéaire, lorsque la jeune narratrice se lance à la recherche de Mâchefer, son cambrioleur de père (adoptif peut-être, mais qu'importe, Éric Chevillard se fiche bien de ce type de précision). On pourrait se croire en terrain inconnu. Ce n'est qu'une fausse impression : le récit de la quête de Ronce-Rose peut également se lire comme la quête d'un récit - une méditation sur l'écriture qui, pour le coup, inscrit pleinement ce nouveau roman au sein de l'oeuvre d'Éric Chevillard. » (Pierre-Édouard Peillon, Le Magazine littéraire)
« Avec Ronce-Rose, Éric Chevillard vient de réussir cet exploit : faire de la grande littérature avec un mixte étrange et fascinant de fable allègre et de thriller funèbre [...]. Autrement dit, Ronce-Rose, en ses 142 petites pages, est tout sauf un texte anodin. Les soubassements d'inquiétude de ce maître livre font éprouver au lecteur le poids d'une expérience authentique de la paternité. Mais ce sérieux ne cesse d'être porté (allégé) de bout en bout, sans aucune faiblesse narrative, par la richesse ludique singulière de la forme. Ce poids est dépourvu de toute pesanteur démonstrative, le récit se situant constamment dans les registres divers du poétique, ceux du conte rieur et cruel. » (Maurice Mourier, En attendant Nadeau) -
Cet écrivain aime sa chambre, sa table, sa chaise, dans la pénombre : on l'envoie en Afrique où sont les lions, dans le soleil. Que va-t-il chercher là-bas ? Un grand poème, dit-il. Ou ne serait-ce pas plutôt l'inévitable récit de voyage que tant d'autres avant lui ont rapporté ? On l'a lu déjà, et relu. L'auteur va prétendre que des indigènes l'ont sacré roi de leur village. Il aura percé à jour les secrets des marabouts et appris de la bouche d'un griot vieux comme les pierres quelque interminable légende avec métamorphoses. Le pire est à craindre. Par bonheur, l'aventure tourne court. L'hippopotame se cache. L'Afrique curieusement ne semble guère fascinée par le courageux voyageur. En revanche, celui-ci prend des couleurs : est-ce le soleil ou la honte ? Nous l'appellerons Oreille rouge.
« Chevillard s'attaque cette fois à la littérature de voyage. Et c'est un festival. Son héros hésite, joue avec la tentation de l'Afrique, parade en baroudeur, rêve du grand poème qui contiendra le continent tout entier, court après l'hippopotame qui ne cesse de se dérober...
L'auteur met ses pas dans les siens, épingle chacune de ses postures, pointe nos vanités, invente des proverbes, imagine des contes africains, disserte sur les moeurs de l'hippopotame. Pour mettre la littérature et le monde à l'épreuve. C'est du pur Chevillard. Une voie royale pour plonger tout habillé dans la magie d'une des oeuvres les plus singulières de la littérature française contemporaine. » (Michel Abescat, Télérama) -
Nous sommes le 5 novembre 2019 et je m'apprête à passer la nuit seul dans la Grande Galerie de l'Évolution du Muséum d'Histoire naturelle de Paris.Cette perspective est-elle si effrayante ? Je n'ai pas l'intention de laisser ma peau aux taxidermistes du muséum ! Ils ont assez à faire avec l'éléphant de mer. Je suis sans doute le seul de la bande au contraire qui ne risque rien dans les heures à venir. Sont réunies ici les conditions de la plus parfaite sérénité. Ces toisons soyeuses, ces pelages, ces peluches... n'est-ce pas ce qui depuis toujours rassure l'enfant craintif dans le grand vide noir de la nuit ? Cette nuit dans la grande galerie, Éric Chevillard la passera plus précisément dans la salle des espèces disparues et menacées. Et si triste est le constat du regroupement de ces deux populations, le lieu, effrayant, exotique, fantasmagorique est plus que propice à l'écriture.De déambulations en contemplations, l'auteur en vient à s'imaginer sauveur de ces mondes perdus. S'ensuivent des pages sublimes et virevoltantes dans lesquelles il tente de faire revenir à la vie des animaux disparus, notamment un oeuf de vorompatra,, grand émeu volatilisé depuis trois siècles, uniquement par la force d'invocation d'un poème. Car « Pour ressusciter les espèces éteintes, mieux que l'incertain clonage cellulaire, ne serait-il pas judicieux de s'en remettre à la poésie ? »
Emporté par l'incroyable élan de ce livre, le lecteur ne pourra que tomber d'accord. -
On se croyait quitte de ces sornettes, pour parler franc. L'enfance est derrière nous. Et le conte du vaillant petit tueur de mouches est une vieille histoire. Or voici qu'un écrivain prétend soudain devenir l'auteur conscient et responsable qui fait défaut à celle-ci, enfantée négligemment par l'imagination populaire, soumise à tous les avatars de la tradition orale puis recueillie en ce lamentable état par les frères Grimm au début du XIXe siècle. Il a des ambitions. Il compte bien élever le frêle personnage qui en est le héros au rang de figure mythique. Noble projet, mais quel est-il, ce héros, le vaillant petit tailleur ou l'écrivain lui-même ? Dans un monde fabuleux, peuplé de géants et de licornes, cette dernière hypothèse pourrait être moins extravagante qu'il n'y paraît.
Le Vaillant petit tailleur a reçu le prix Wepler en 2003.
« Attention, Le Vaillant petit tailleur est un vrai conte de Grimm, avec son héros pauvre et malin, ses rois, ses reines, ses géants à tuer, ses princesses à épouser, ces centaures et ses licornes, ses mouches. Ses mouches surtout. Mais sa chair, comme celle de toute l'oeuvre de Chevillard, est faite de digressions, sauf que chez lui la digression n'est ni du remplissage ni de la broderie, c'est au contraire l'usage du mot juste à sa juste place, dans une intelligence et une complicité de bonne compagnie avec le lecteur. Sous couvert de cocasseries et de mots d'auteur, Chevillard, à chaque livraison, redonne à la littérature la vertu du vertige. » (Jean-Baptiste Harang, Libération) -
Son visage exprime une ferme résolution. Ses gestes sont brefs et précis. Sa main ne tremble pas. Il joue pourtant sa vie dans cette affaire. Il est écrivain et, ce soir, il se propose d'écrire son autobiographie. Sur sa table se trouve rassemblé tout le matériel nécessaire, du papier, un crayon, une gomme, un hérisson. Qui n'a rien à faire là, ce dernier, vous avez raison. Dont la présence incongrue est même un vrai mystère. Mais l'effet de surprise s'estompe vite. Place à la colère. Ce hérisson naïf et globuleux est une calamité. Si doué soit-il lui-même pour l'introspection vicieuse et le repli sur soi compulsif, il contrarie grandement et déroute l'ambitieux projet autobiographique de l'écrivain. D'où sort-il, ce nuisible animal, renifleur, bruyant, hirsute, insaisissable, que cherche-t-il ici ? Que me veut-il ?
« Du hérisson est bien sûr impossible à résumer : autant mettre Michaux en fiche ou Beckett en équation. L'animal y sert de contrainte et de miroir, fil directeur posé sur un bureau et mystère qui offre sa poésie, ses métaphores ou ses accrocs au livre en train de se faire.
Du hérisson est une boîte à outils, un art poétique où l'on trouve de tout et même quelques armes cachées pour assommer les médiocres alentour. C'est aussi un coffre à bijoux, à jouets : on y découvre une peluche qui pique et pas mal de petits joyaux. Magie de Chevillard, qui transforme en émotion le sarcasme, sans qu'on y prenne toujours garde. Un si bon génie méritait vraiment qu'on aille s'y frotter. » (Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles) -
La première fois que Crab fut pris pour un éléphant, il se contenta de hausser les épaules et passa son chemin. La deuxième fois que Crab fut pris pour un éléphant, il laissa échapper un geste de mauvaise humeur. La troisième fois, enfin, devinant que ses ennemis avaient comploté de le rendre fou, il ceintura vivement l'insolent et l'envoya valser à dix-huit mètres de là... Tel est Crab, dont ce livre voudrait rapporter quelques gestes remarquables et que l'on verra ainsi avec un peu de chance plier le ciel comme un drap ou se tuer par inadvertance en croyant poignarder son jumeau, puis devenir torrent pour mieux suivre sa pente. À moins évidemment qu'il ne se terre plutôt tout du long dans son antre obscur, s'agissant de Crab, on ne peut rien promettre.
La Nébuleuse du crabe a reçu le prix Fénéon en 1993. -
Monotobio plutôt que Mon autobio, avec quatre O comme quatre roues bien rondes, car il s'agit de ne pas traîner. Nul temps mort dans nos vies, le train des conséquences ne ralentit jamais, tout s'enchaîne selon la logique impérieuse du destin. Nous rencontrons ici un écrivain éperdu, aux prises avec son autobiographie. Peut-il se permettre de passer sous silence les plus menus incidents de son existence ? Chaque instant compte. La seconde où il a marché sur sa balle de ping-pong, celle où il a caressé un zèbre... S'il tait ces épisodes, la trame de son récit ne risque-t-elle pas de se défaire ? Et si tout était écrit avant d'être vécu, que lui reste-t-il maintenant à inventer ?
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De James Cook, dont le navire The Adventure quitta Plymouth pour les mers australes le 13 juillet 1772, qui découvrit la Nouvelle-Zélande et Tahiti, navigateur infatigable et digne de Napoléon pour l'esprit de conquête, affichant d'ailleurs le même petit air fat et borné, il ne sera pour ainsi dire pas question dans ce livre, comme son titre très honnêtement nous en avertit. C'est jouer franc jeu. En revanche, comme partout où le capitaine Cook n'osa s'aventurer par crainte de trop grands périls, on y rencontrera notre homme, curieux personnage, comme chez lui dans ces contrées où tout peut arriver : deux femmes naître attachées par les cheveux et traverser l'existence ainsi sans se soucier l'une de l'autre, un vieux préhistorien perdre la mémoire de tous les événements postérieurs au paléolithique, ou encore un ermite distrait périr par noyade dans les sables du désert.
« De fait, tout arrive dans les contrées étranges d'un récit qui emprunte les codes romanesques pour mieux les subvertir, à force de retard, détours et digressions infinies. Il y a certes des chapitres, et même pour les ouvrir de petits résumés ironiquement désuets qui nous en annoncent le contenu. Il y a également un personnage principal, l'anonyme "notre homme", dont les multiples métamorphoses vont servir de fil directeur à notre expédition dans les terres inconnues du livre.
Plus encore que dans ses ouvrages précédents, l'auteur - "notre homme" ? - s'amuse en effet des attentes du lecteur : tandis qu'on espère inconsciemment une identification possible, une intrigue cohérente, le confort de personnages familiers, Chevillard bifurque vers d'hallucinantes considérations sur l'invention de l'escalier, la première girafe qui foula le sol de France ou la musique cristalline du crapaud... Ce pourrait être n'importe quoi, s'il n'y avait cette délectable cohérence décalée de l'humour pour donner à tant de pages leur unité.
L'écriture de Chevillard se joue ainsi de la logique pour dynamiter le supposé mimétisme du roman "miroir du monde" : tout est affaire de langue, quand les métaphores sont prises au pied de la lettre et qu'un imaginaire délirant se substitue aux sacro-saints effets de réel. Les Absences du capitaine Cook est en ce sens un titre parfait, qui annonce le recensement de tous les oublis de la fiction. » (Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles)
Ce roman a été publié en 2001. -
Les tortues de Floride élevées en aquarium ne sont pas tout à fait des cailloux. Elles ont donc besoin d'eau et de nourriture pour vivre. C'est ce que découvre le narrateur de cette histoire, de retour chez lui après un mois d'absence. Il croyait la sienne plus endurante, mais la carapace décalcifiée de la petite Phoebe se fend sous son pouce. Par ailleurs, alors qu'il s'employait à réhabiliter en la signant de son nom l'oeuvre de Louis-Constantin Novat, écrivain ignoré du XIXe siècle, cette généreuse initiative se trouve soudain menacée. Or la forêt des mystères n'abrite pas que des crimes : les deux mésaventures pourraient bien être liées.
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Certes, à première vue, tout laisse à penser que Palafox est un poussin, un simple poussin puisque son oeuf vole en éclats, un autruchon comme il en éclôt chaque jour de par le monde, haut sur pattes et le cou démesuré, un girafon très ordinaire, au pelage jaune tacheté de brun, un de ces léopards silencieux et redoutables, volontiers mangeurs d'hommes, un requin bleu comme tous les requins bleus, assoiffé de sang, en somme un moustique agaçant de plus, avec sa trompe si caractéristique, un éléphanteau banal, mais bientôt on se prend à en douter. Palafox coasse. Palafox nous lèche le visage et les mains. Alors nos certitudes vacillent. Penchons-nous sur Palafox.
« Étrange et fascinant projet que celui d'Éric Chevillard. À toute allure, il nous entraîne sur les traces de sa créature polymorphe. Les savants, les chasseurs, les victimes de Palafox se joignent à nous dans cette quête essoufflante. De digressions en rebondissements, on galope, médusé, à travers un récit stupéfiant. Le rire éclate, la surprise enchante, le projet déconcerte : que veut Chevillard ? On peut évoquer Pinget, Queneau, Michaux, Perec : aucun modèle ne va vraiment à cette écriture d'une habileté confondante, d'une drôlerie irrésistible et méchante, d'un élan qui entraîne : suivons Palafox ! » (Isabelle Rüf, L'Hebdo) -
Pour quelques damnés heureux ou malheureux, la littérature décide de tout. Chaque chose sera vue à travers son prisme et rien ne sera vraiment vécu avant d'être formulé. Ce livre est-il un récit humoristique délirant, une confession autobiographique désarmante, un essai polémique agressif, ou bien plutôt, outrepassant ces catégories qui se télescopent ici, tantôt joyeusement, tantôt brutalement, une mise à l'épreuve de la vie de l'auteur dans le champ de la littérature où il s'est établi au saut du berceau ? Nous y lirons donc un roman bien dans sa manière (un peu trop sans doute), et même deux romans puisqu'un second (l'histoire d'un homme qui suit une fourmi) vient soudain interrompre le premier. Mais nous y lirons aussi les interventions et commentaires de l'auteur, soucieux de garder la main sur sa création et d'élucider ce qui se trame peut-être à son insu dans ses fictions.
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Monsieur Théo était né pour mourir comme d'autres naissent pour danser ou pêcher la baleine. L'heure a sonné, enfin, après quatre-vingts ans, où il va pouvoir donner sa mesure. Chassé de son domicile, il trouve refuge chez Suzie Plock, veuve de son vieil ami Martial Plock, un imbécile. Là, il reçoit parfois la visite de Lise, petite complice délicate de son agonie, qui confond céleri et salsifis comme tout le monde.
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Voici venue l'heure du verdict, l'heure des révélations. Albert Moindre est mort et il découvre l'au-delà, ce qu'il en est, ce qui s'y passe. Sommes-nous vengés ? Sommes-nous punis ? À quoi ressemble le Royaume des cieux ? Ce témoignage de première main apporte des réponses à nombre de nos interrogations anciennes. On le lira si ces questions nous tourmentent, pour être fixés une bonne fois.
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Nous ne soupçonnions pas l'importance de l'orang-outan dans l'organisation générale du monde ni que tout tenait ensemble grâce à lui, à son action discrète mais décisive. C'était lui, le subtil rouage. Il a suffi qu'il disparaisse pour que tout flanche. Comment vivre sans lui ? Essayons.
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Nous attendons d'un livre qu'il nous parle de neige, de marquise, d'île, de zoo, de style, de photographie, de Beckett, d'humour, de Dieu, de virgule, de littérature et évidemment de kangourou. Ce sera le cas de celui-ci, entre autres questions de semblable importance. Soucieux de mettre un peu d'ordre dans son recueil, l'auteur a cédé à la tentation de l'abécédaire, optant même pour la disposition AZERTY du clavier français, conçue justement à l'origine pour éviter que les machines à écrire et ceux qui en usent ne s'emmêlent les pinceaux. C'était oublier que l'écriture selon son goût pactisera toujours plus volontiers avec les forces du désordre.
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Puis il inventa l'écriture. Dès lors, impossible de reculer : l'homme entra dans l'Histoire. Mais il serait faux de croire que tout a commencé pour lui ce matin-là. Depuis longtemps, l'homme s'activait sur la Terre. Moins doué pour la vie de tous les jours que les animaux, ses voisins, bisons, chevaux, mammouths, dont la paisible assurance et le sens pratique l'impressionnaient fortement, il en fit les héros de ses fresques rupestres - grandes figures éternelles, déjà vieilles de vingt ou trente mille ans, que l'on ne saurait donc comparer sans sourire à nos récentes peintures sur toile, démodées avant d'être sèches.
La grotte de Pales s'ouvre ainsi sur un réseau de galeries richement ornées. On la visite. Le narrateur de cette histoire, quand elle commence, vient justement d'être nommé au poste vacant de guide et gardien du site. Il tarde pourtant à prendre ses fonctions. Quelque chose le retient. -
Furne est un contestataire. La lumière et l'obscurité l'indisposent pareillement, toujours menacée l'une par l'autre, l'inutile complexité du corps l'afflige, la loi de la pesanteur l'indigne au-delà de toute expression, et il n'aurait pas davantage voté les autres si seulement on l'avait consulté. Furne caresse l'idée de réformer l'ordre des choses, qui ne lui convient pas. Sept collaborateurs ingénieux et tout dévoués l'aideront dans sa tâche. De nouveaux matériaux seront conçus, de nouvelles matières. Mais Furne tirera aussi parti de la soie, par exemple, ou du caoutchouc, l'inépuisable caoutchouc, si obéissant, si compatissant, et bonne pâte, le musculeux, le miraculeux caoutchouc.
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L'homme qui nous livre ici son témoignage porte en permanence et très naturellement une chaise retournée sur la tête, ce qui lui vaut depuis toujours bien des déboires et des railleries, mais aussi, tout à coup, l'enviable privilège de plaire à Méline. Celle-ci l'invite même à s'installer chez elle avec ses vieux amis. Cependant, l'envahissante présence des parents de la jeune fille les oblige à se transporter au plafond, où les conditions de vie se révèlent d'ailleurs excellentes et en tout point meilleures qu'au sol. On se demande alors pourquoi Méline hésite à les rejoindre là-haut.
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Dino Egger, ce nom n'évoque rien pour personne et c'est bien regrettable. C'est aussi parfaitement compréhensible, puisque Dino Egger n'a jamais existé. Il aurait pourtant accompli de grandes choses, s'il faut en croire Albert Moindre dont le nom ne vous dira rien non plus. Pas étonnant, Albert Moindre est un homme modeste, sans éclat. Tandis que Dino Egger devait marquer le monde de son empreinte, ouvrir des perspectives nouvelles, inventer l'harmonie. Pourquoi n'a-t-il pas vu le jour, en dépit de ces excellentes dispositions ? Quelle eût été son oeuvre ? Ne peut-on espérer encore et malgré tout le miracle de son apparition ? Albert Moindre se fait fort de répondre à toutes ces questions.
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L'île de Choir est un écueil de terre rude, hostile, inclément, et nous, ses habitants infortunés, de toutes nos forces nous le haïssons, nous le honnissons, nous le maudissons. Tous, nous rêvons de partir. Impitoyablement, nous sommes retenus par ses sables et ses boues. Il se raconte pourtant qu'un ancêtre, Ilinuk, né avec une difformité formidable, parvint à s'en arracher pour rejoindre le ciel. Un de ses anciens compagnons vieux comme l'orage et la cendre endort nos douleurs et calme nos plaintes avec le récit de sa vie prodigieuse. Ilinuk a promis de revenir nous chercher. Nous vivons depuis pour cette seule espérance. Et nous guettons son retour, ne cessant de scruter le ciel que pour haïr, honnir et maudire le sol de Choir.
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Dans tout autre livre, Crab serait un personnage secondaire, le cadavre déjà froid autour duquel se développerait la passionnante intrigue policière, un homme de troupe, une silhouette au loin, la mule de Sancho Pança, un bruit de pas dans la nuit. On prêterait à peine attention à lui, méprisé par l'auteur et par les autres personnages, le lecteur même serait sans doute tenté de l'employer à tourner les pages. Crab est le héros unique de ce livre. Il se conduira comme tel jusqu'au bout, à la surprise générale.
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Pour se connaître enfin soi-même, il n'est pas de meilleur moyen que de connaître bien son ennemi. Ordinairement, celui-ci ne fait pas mystère de sa personne : on ne voit et on n'entend que lui partout. Mais le narrateur de ce livre va devoir s'employer à débusquer le sien, mort en 1888 et oublié presque aussitôt. Désiré Nisard, critique littéraire académique et compassé, sermonneur versatile, n'en a pour autant pas fini de nuire. Il a pesé de tout son poids sur la trame légère des jours comptés à l'humanité. Il a contribué au malheur de celle-ci, aujourd'hui encore accru par les fatales conséquences de ses moindres opinions et petits gestes mesquins. Tout cela appelle une juste vengeance. Désiré Nisard doit disparaître. L'idéal serait qu'il n'ait jamais vécu. La plus infime trace de son existence sera effacée. Ce livre entend lui régler son compte une bonne fois.
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Il est évidemment inutile de rappeler ici qui fut Thomas Pilaster, écrivain tant aimé, dont la mort brutale a fait de nous tous de lamentables orphelins. Mince contrepartie, les sept textes inédits rassemblés dans ce volume, que présente et annote son excellent ami, Marc-Antoine Marson, le poète, avec un sens aigu de la nuance critique qui lui permet de tempérer son admiration et de ne jamais verser naïvement dans l'hagiographie, laissant par ailleurs deviner l'histoire surprenante et complexe de leur amitié. Ses commentaires inspirés ressuscitent surtout pour notre plus grand bonheur la compagne de Pilaster, Lise, et contiennent quelques révélations qui devraient faire du bruit sur le rôle exact qu'elle a joué dans la vie et l'oeuvre de l'écrivain.