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Littérature
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Ci-gît l'amer : guérir du ressentiment
Cynthia Fleury
- Gallimard
- Folio essais
- 1 Septembre 2022
- 9782072981807
La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence. Certes, l'objet de l'analyse reste la quête des origines, la compréhension de l'être intime, de ses manquements, de ses troubles et de ses désirs. Seulement il existe ce moment où savoir ne suffit pas à guérir, à calmer, à apaiser. Pour cela, il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire, le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur. L'aventure démocratique propose elle aussi la confrontation avec la rumination victimaire. La question du bon gouvernement peut s'effacer devant celle-ci : que faire, à quelque niveau que ce soit, institutionnel ou non, pour que cette entité démocratique sache endiguer la pulsion ressentimiste, la seule à pouvoir menacer sa durabilité? Nous voilà, individus et État de droit, devant un même défi : diagnostiquer le ressentiment, sa force sombre, et résister à la tentation d'en faire le moteur des histoires individuelles et collectives.
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Le mythe de sisyphe (essai sur l'absurde)
Albert Camus
- Gallimard
- Folio essais
- 15 Novembre 2016
- 9782072470400
La notion d'absurde et le rapport entre l'absurde et le suicide forment le sujet de cet essai.
Une fois reconnu le divorce entre son désir raisonnable de compréhension et de bonheur et le silence du monde, l'homme peut-il juger que la vie vaut la peine d'être vécue ? Telle est la question fondamentale de la philosophie.
Mais si l'absurde m'apparaît évident, je dois le maintenir par un effort lucide et accepter en le vivant de vivre. Ma révolte, ma liberté, ma passion seront ses conséquences. Assuré de mourir tout entier, mais refusant la mort, délivré de l'espoir surnaturel qui le liait, l'homme va pouvoir connaître la passion de vivre dans un monde rendu à son indifférence et à sa beauté périssable. Les images de Don Juan, du comédien, de l'aventurier illustrent la liberté et la sagesse lucide de l'homme absurde. Mais la création - une fois admis qu'elle peut ne pas être - est pour lui la meilleure chance de maintenir sa conscience éveillée aux images éclatantes et sans raison du monde. Le travail de Sisyphe qui méprise les dieux, aime la vie et hait la mort, figure la condition humaine. Mais la lutte vers les sommets porte sa récompense en elle-même. Il faut imaginer Sisyphe heureux. -
Rédigé en 1941 au Brésil où le triomphe du nazisme en Autriche a contraint Zweig à émigrer, Le Monde d'hier raconte une perte : celle d'un monde de sécurité et de stabilité apparentes, où chaque chose avait sa place dans un ordre culturel, politique et social qui nourrissait l'illusion de l'éternité. Un monde austro-hongrois et une ville sans égale, Vienne, qu'engloutira le cataclysme de 1914.
Dans ce qui est l'un des plus grands livres-témoignages sur l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, Zweig retrace dans un va-et-vient constant la vie de la bourgeoisie juive éclairée, moderne, intégrée, et le destin de l'Europe jusqu'à son suicide, sous les coups du nationalisme, de l'antisémitisme, de la catastrophe de la Première Guerre mondiale et de l'effondrement de l'Empire austro-hongrois, sans oublier le rattachement de Vienne au Reich national-socialiste. Ce tableau d'un demi-siècle de l'histoire de l'Europe résume le sens d'une vie, d'un engagement d'écrivain, d'un idéal d'une République de l'intelligence par-dessus les frontières.
Chemin faisant, le lecteur croise les amis de l'auteur : Schnitzler, Rilke, Rolland, Freud, Verhaeren ou Valéry. -
«Il faut s'adapter» : sur un nouvel impératif politique
Barbara Stiegler
- Gallimard
- Folio essais
- 14 Septembre 2023
- 9782073010063
D'où vient ce sentiment diffus et oppressant d'un retard généralisé, lui-même renforcé par l'injonction permanente à s'adapter au rythme des mutations d'un monde complexe ? Comment expliquer cette colonisation des champs économique, social et politique par le lexique biologique de l'évolution ?
La généalogie de ce nouvel impératif nous conduit dans les années 1930 aux sources du "néolibéralisme" américain : "néo" car, contrairement au libéralisme classique qui comptait sur la libre régulation du marché, ce nouveau libéralisme autoritaire en appelle aux artifices de l'État (droit, éducation, action sociale). L'enjeu est de transformer l'espèce humaine pour fabriquer les agents d'une compétition mondiale loyale et régulée. Pour Walter Lippmann, théoricien de cette transformation, seul un gouvernement de leaders et d'experts peut conduire l'évolution des sociétés dans la bonne direction. Mais Lippmann se heurte à John Dewey, figure majeure du pragmatisme, qui lui oppose l'intelligence collective des publics, socle d'une indispensable refondation de la démocratie.
"La lutte entre le néolibéralisme et la démocratie n'est pas terminée : elle ne fait que commencer", Thomas Piketty, présentation de l'édition américaine, Fordham University Press. -
"La langue anglaise n'existe pas" : C'est du français mal prononcé
Bernard Cerquiglini
- Gallimard
- Folio essais
- 7 Mars 2024
- 9782073056641
Langue officielle et commune de l'Angleterre médiévale durant plusieurs siècles, le français a pourvu l'anglais d'un vocabulaire immense et surtout crucial. Traversant la Manche avec Guillaume le Conquérant, il lui a offert le lexique de sa modernité. C'est grâce aux mots français du commerce et du droit, de la culture et de la pensée que l'anglais, cette langue insulaire, est devenu un idiome international. Les "anglicismes" que notre langue emprunte en témoignent.
De challenge à vintage, de rave à glamour, après patch, tennis ou standard, de vieux mots français, qui ont équipé l'anglais, reviennent dans un emploi nouveau ; il serait de mise de se les réapproprier, pour le moins en les prononçant à la française.
Avec érudition et humour, Bernard Cerquiglini inscrit la langue anglaise au patrimoine universel de la francophonie. -
"Dans ces douze cahiers, que Kafka qualifie parfois de Journal, observations de vie quotidienne, rêves, visions, fulgurations, réflexions et même dessins alternent avec de multiples débuts de récit, certains répétés comme s'il s'agissait de réchauffer un moteur narratif refroidi. Dans cette galaxie brille un seul récit achevé, Le Verdict, écrit d'une traite une nuit de 1912, devenu pour l'écrivain le modèle du bonheur de raconter.
Mille et une nuits d'écriture de notations et de récits qui mettent en scène les affres et les exaltations de celui qui dit de lui-même :
Finir prisonnier - ce serait un but dans la vie. Mais c'était une cage entourée d'une grille... comme s'il était chez lui le bruit du monde affluait et ressortait par la grille, en fait le prisonnier était libre, il pouvait avoir part à tout, rien au dehors ne lui échappait... il n'était même pas prisonnier.
Loin des sanctifications et des discordes, ces carnets nous font entrer avec Kafka au pays de l'écriture."
Dominique Tassel -
Désorceler nous introduit dans l'atelier d'une désorceleuse, Madame Flora, que Jeanne Favret-Saada a longuement fréquentée. Ainsi pouvons-nous saisir sur le vif les procédés verbaux et les actes rituels grâce auxquels la magicienne entraîne peu à peu ses patients à modifier leur manière d'être. Au contraire de ce qu'on imaginerait, elle n'exige d'eux une adhésion claire et inconditionnelle ni à son activité, ni à la sorcellerie. Il suffit qu'ils soient pris dans une spirale de malheurs incompréhensibles et qu'ils ne tiennent pas les sorts pour une hypothèse inenvisageable. Ensuite, tout son travail se déroule sous le signe de la supposition, comme dans les thérapies savantes que nous connaissons déjà.
L'increvable stéréotype des cultures urbaines - de supposés magiciens dupant des paysans crédules - fait ainsi place à la description d'un lent processus de guérison. Conçu pour résoudre des crises propres aux familles d'agriculteurs bocains, son bien-fondé séduit pourtant quiconque se trouve l'objet de malheurs répétés. -
C'était mieux demain ? Actualité de la nostalgie
Collectif
- Gallimard
- Folio essais
- 7 Novembre 2024
- 9782073047212
"Si l'on peut être nostalgique de ce que l'on n'a pas vécu, c'est d'abord que ce sentiment désigne au fond une révolte contre le temps qui passe, son irréversibilité, sa clôture. Mais c'est également que la nostalgie se déploie depuis le futur. D'un point de vue existentiel et politique, on peut l'envisager comme une méthode critique, un geste subversif. Plutôt qu'un retour aux origines, elle engage alors un détour par le passé, une façon de le déverrouiller et de raviver ses rendez-vous manqués, ses rythmes discordants, ses possibilités enfouies.
"Brosser l'histoire à rebrousse-poil, dit Walter Benjamin, c'est y rallumer l'étincelle de l'espérance" "Le nostalgique s'installe dans l'invincible espérance, ajoute Vladimir Jankélévitch, parce qu'il se reconnaît citoyen d'une autre cité et d'un autre monde."
Nostalgiques de ce que nous n'avons pas vécu (pas encore !), nous éprouvons ainsi la puissance utopique d'une émotion qui disloque les fatalités du présent en libérant un passé toujours à naître, un passé à venir."
Textes de David Berliner, Barbara Cassin, Catherine Chalier, Hélène Cixous, Catherine Cusset, Vincent Delecroix, Thomas W. Dodman, Hervé Le Tellier, Géraldine Muhlmann, Camille Riquier, Stéphanie Roza, Jean-François Sirinelli. Un grand entretien avec Arnaud Desplechin. -
L'envers et l'endroit est le premier livre d'Albert Camus. Il paraît à Alger en 1937.
À la fin de sa vie, Camus verra dans cette oeuvre de jeunesse la source secrète qui a alimenté ou aurait dû alimenter tout ce qu'il a écrit. L'envers et l'endroit livre l'expérience, déjà riche, d'un garçon de vingt-deux ans : le quartier algérois de Belcourt et le misérable foyer familial dominé par une terrible grand-mère ; un voyage aux Baléares, et Prague, où le jeune homme se retrouve "la mort dans l'âme" ; et surtout, ce thème essentiel : "l'admirable silence d'une mère et l'effort d'un homme pour retrouver une justice ou un amour qui équilibre ce silence". -
Façons de dire, façons de faire : La laveuse, la couturière, la cuisinière
Yvonne Verdier
- Gallimard
- Folio essais
- 2 Mai 2024
- 9782073047113
Et si en entrant dans la société de consommation nous avions oublié bien plus que des "recettes de grand-mère" ? Et si certaines "mauvaises habitudes" de nos aïeux n'étaient pas que des coutumes préscientifiques désuètes ? Alors que la modernité gagne la France rurale dans les années 1970, c'est à une véritable "ethnologie de sauvetage" que se livre Yvonne Verdier. Loin de dresser un simple inventaire des choses perdues, l'autrice identifie dans les gestes et les paroles des femmes de Minot, petit village de Côte-d'Or, la survivance de savoir-faire et savoir-être ancestraux qui accompagnent une vision du monde.
De la profusion des destins singuliers, trois figures se détachent - la couturière, la cuisinière, la femme-qui-aide -, auxquelles l'ouvrage rend hommage. Se dessine alors la trame d'une culture féminine autonome dans laquelle les femmes entretiennent un rapport privilégié avec la nature et le temps : "Chacune, dans son expérience individuelle, prend la mesure du temps par la périodicité de son corps, alternance qui la relie aux grands rythmes cosmiques."
De leurs "façons de faire", il ne reste souvent plus que la trace qu'elles ont laissée dans nos "façons de dire", ces locutions parfois étranges qui peuplent notre langue quotidienne. -
Nietzsche et la vie : une nouvelle histoire de la philosophie
Barbara Stiegler
- Gallimard
- Folio essais
- 14 Octobre 2021
- 9782072884948
Avec Nietzsche s'inaugure une philosophie nouvelle, centrée dorénavant sur le corps et la vie, qui appelle une nouvelle histoire de la philosophie. En parcourant les grandes étapes de cette histoire, Barbara Stiegler introduit le lecteur aux philosophies de Descartes, Kant, Schopenhauer, Hegel et Marx, ainsi qu'à quelques grandes figures de la philosophie contemporaine, proches ou héritières de cette nouvelle philosophie de la vie : William James, John Dewey, Bergson, Canguilhem et Foucault, sans oublier le contrepoint critique de la phénoménologie, de Husserl à Heidegger. Parce que le fil conducteur de cette nouvelle histoire suit la réalité concrète du corps et de la vie, son livre est aussi une introduction à l'histoire de la biologie, de la physiologie à la théorie de l'évolution, et jusqu'aux débats les plus brûlants de la biologie et des sciences médicales contemporaines. À la lumière de ce parcours, la philosophie de Nietzsche ne peut plus apparaître comme une météorite solitaire et fulgurante. Elle se situe bien plutôt au beau milieu d'un tournant : celui à partir duquel, sur fond de fin de la métaphysique et de crise des savoirs, le gouvernement de la vie et des vivants doit devenir l'affaire de tous, nous obligeant à repenser de fond en comble les notions de « réalité » et de « vérité » en même temps que la valeur des énoncés produits par la science.
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"L'angoisse du devenir hante les récits de Saint-Exupéry. Lorsque le pilote dans son avion (Vol de nuit) connaît l'angoisse de ne plus atterrir parce qu'il s'est perdu, parce qu'il a dérivé, parce que désormais il ne voit plus rien et qu'il comprend qu'il vit ses dernières minutes avant une panne sèche qui le précipitera en mer, il vit aussi l'épreuve suprême. Soudain il comprend. Il devient. Il n'échoue pas dans le désespoir ni dans le cri de détresse. Il est allé jusqu'au terme de son voyage personnel. Lorsque le pilote de Terre des hommes se prépare à mourir sous la mitraille, il n'éprouve pas la peur moite de ceux qui voient arriver leur dernière heure. Il goûte le moment comme l'apothéose de sa vie, comme l'instant le plus intense de sa vie, dût-il en être le dernier : Je suis vivant. Je suis encore vivant. Je suis toujours vivant. Telle est la grande affaire : conjurer la mort."
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Énigmes et complots : Une enquête à propos d'enquêtes
Luc Boltanski
- Gallimard
- Folio essais
- 11 Janvier 2024
- 9782073047014
Au tournant du XXe siècle, se développent tour à tour le roman policier, dont le coeur est l'enquête ; le roman d'espionnage, qui a pour sujet le complot ; l'invention, par la psychiatrie, de la paranoïa ; la création par la sociologie de formes spécifiques de causalité, dites sociales ; enfin, l'orientation nouvelle de la science politique qui, se saisissant de la problématique de la paranoïa, la déplace du plan psychique au plan social et prend pour objet l'explication des événements historiques par les "théories du complot".
Ainsi, la figure du complot focalise des soupçons qui concernent le pouvoir : où se trouve-t-il réellement et qui le détient ? Roman policier et roman d'espionnage, paranoïa et sociologie sont des inventions à peu près concomitantes. Les aventures du conflit entre ces deux réalités - réalité de surface contre réalité réelle - constituent le fil directeur de cet ouvrage et éclairent le XXIe siècle d'une lumière particulièrement vive. -
Pourquoi les Cahiers de prison d'Antonio Gramsci sont-ils si souvent cités et pourtant toujours si peu lus ? La cause est-elle à
chercher dans leur caractère fragmenté et volumineux à la fois ? Tient-elle à l'oubli des références qui sont celles de la culture de Gramsci ? Se comprend-elle par le peu de connaissance que nous avons de la vie de cet intellectuel engagé dans les combats de son temps ? S'explique-t-elle par un message philosophique et politique aujourd'hui moins audible ? Peut-être... mais il semble avant tout que l'oeuvre majeure de Gramsci pâtisse de la surimposition des interprétations aux dépens de la lecture directe des textes.
L'objectif de cette anthologie est de remédier à cette difficulté en permettant une saisie plus facile, plus immédiate et surtout la plus complète de la pensée gramscienne affranchie des gloses qui l'entourent et qui parfois la dénaturent ainsi que des réductions à quelques formules répétées à l'envi. -
Discours sur l'histoire : Sur le commencement de Tacite ; De la lecture de l'histoire
Thomas Hobbes, William Cavendish
- Gallimard
- Folio essais
- 1 Mai 2024
- 9782073040718
En des temps incertains, l'histoire pourrait-elle fournir un guide utile aux gouvernants, afin qu'ils y puisent non seulement des exemples pratiques mais aussi leurs principes de conduite ? Les penseurs européens du tournant du XVIIe siècle ne s'y sont pas trompés, qui lisaient et relisaient les grands historiens de l'Antiquité : Thucydide, Polybe, Tite-Live et, bien sûr, Tacite. Mais comment tirer des enseignements de temps si lointains ? Le présent n'est-il qu'une répétition du passé ? L'histoire se réduit-elle à une lutte entre tentation autoritaire et risque de guerre civile ?
Deux textes, improprement qualifiés de "jeunesse", de Hobbes, inédits en français et présentés ici par Jauffrey Berthier et Nicolas Dubos, montrent que celui que l'on retiendra pour son Léviathan s'essayait lui aussi à cet exercice de "lecture de l'histoire". C'est en s'imprégnant des textes anciens et en fréquentant les grands de son temps, comme Lord William Cavendish, coauteur des deux textes et dont il a été le précepteur, que Hobbes trouvera matière à développer une théorie politique inédite, pleinement démonstrative, propre à répondre aux malheurs de son temps et qui a marqué la philosophie politique jusqu'à aujourd'hui. -
Nous ne sommes pas remplaçables. L'État de droit n'est rien sans l'irremplaçabilité des individus.
L'individu, si décrié, est souvent défini comme le responsable de l'atomisation de la chose publique, comme le contempteur des valeurs et des principes de l'État de droit. Pourtant, la démocratie n'est rien sans le maintien des sujets libres, rien sans l'engagement des individus, sans leur détermination à protéger sa durabilité. Ce n'est pas la normalisation - ni les individus piégés par elle - qui protège la démocratie. La protéger, en avoir déjà le désir et l'exigence, suppose que la notion d'individuation - et non d'individualisme - soit réinvestie par les individus. "Avoir le souci de l'État de droit, comme l'on a le souci de soi", est un enjeu tout aussi philosophique que politique.
Après Les pathologies de la démocratie et La fin du courage, Cynthia Fleury poursuit sa réflexion sur l'irremplaçabilité de l'individu dans la régulation démocratique. Au croisement de la psychanalyse et de la philosophie politique, Les irremplaçables est un texte remarquable et plus que jamais nécessaire pour nous aider à penser les dysfonctionnements de la psyché individuelle et collective. -
La politique moderne a pour principe fondateur la souveraineté. De Machiavel à Hannah Arendt, Gérard Mairet décrit les étapes historiques de la théorisation de ce principe et ses fondements métaphysiques, juridiques et éthiques. La souveraineté a fondé une politique profane : c'est par l'État et sa territorialité politique que peuples et nations ont construit leur identité. Une telle construction, opérée dans et par la guerre, mais vécue par les modernes comme le moyen de leur liberté, a tissé la trame de notre histoire.
Au siècle dernier cependant, le triomphe de la puissance d'État a frôlé le suicide collectif. Les Européens ont compris que le temps des ambitions et des fiertés nationales est désormais dépassé. Le bal des nations dressées les unes contre les autres, concurrentes les unes des autres, chacune jalouse de ses gloires passées, est terminé ou presque. Le chacun pour soi conduit à l'échec. Une révolution dans la souveraineté est donc à accomplir. -
La révolution du féminin
Camille Froidevaux-Metterie
- Gallimard
- Folio essais
- 5 Mars 2020
- 9782072879562
Le féminisme a produit bien plus qu'une dynamique d'égalisation des conditions féminine et masculine, il a profondément transformé nos sociétés occidentales en initiant un double processus de féminisation du social et de masculinisation de l'intime.
Par-delà les mécanismes qui nourrissent les inégalités, les discriminations et les violences, il faut ainsi pouvoir repérer que nous sommes en train de vivre une mutation à l'échelle de l'histoire humaine : la convergence des genres se dessine qui annonce l'advenue d'un individu générique.
Dans l'horizon d'un monde devenant neutre et égalitaire, la condition incarnée de nos existences revêt un nouveau sens. Affranchie des déterminismes tant naturels que culturels, la sexuation des corps se conçoit désormais au prisme de la singularité, comme un projet relevant de la libre volonté individuelle.
Pour les femmes qui n'ont longtemps été que des corps, il s'agit d'éprouver une condition paradoxale, écartelée entre aliénation et libération. Analyser les modalités de l'expérience vécue du féminin, c'est alors définir ce dernier comme un rapport à soi, au monde et aux autres qui passe spécifiquement par le corps. -
"Je dédie cet abécédaire des concepts des cultures éloignées à la mémoire de Marcel Mauss. Pour moi, ce sont autant d'éléments du gigantesque puzzle que pourrait être un répertoire de l'humanité.
Marcel Mauss a su, comme nul autre, distinguer dans les mondes éloignés les concepts spécifiques à une culture, celle-ci et pas une autre, leur restituer leur signification et leur usage. Il l'a si bien fait que certains sont entrés dans notre langue, comme le tabou ou le mana, tous deux originaires de Polynésie. Je me suis nourri de son érudition, de son intelligence, tout entière vouée à la compréhension des autres.
J'ai tenté à mon tour d'attraper dans des mondes éloignés des concepts qui me paraissaient à la fois spécifiques et féconds. Je me suis donc longuement appesanti sur le djinn du Maghreb ou du Moyen-Orient, sur le zar d'Éthiopie ou du Soudan, ou sur le vaudou du Bénin et du Togo, parce que j'avais besoin de ces notions pour rendre plus cohérent mon travail clinique auprès de patients provenant de ces mondes."
T. N. -
Sartre écrit, dans Plaidoyer pour les intellectuels, que l'intellectuel est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas, quand Beauvoir - à l'évidence - se mêle de ce qui la regarde, dans ses livres Le Deuxième Sexe, La Vieillesse. La question sexe/genre s'impose désormais comme problème théorique, mais l'objet de pensée échappe encore à la sérénité académique, comme à la légitimité scientifique.
L'étudiante Geneviève Fraisse a compris que la philosophie était le bastion le plus solide, parce que le plus symbolique, de la prérogative masculine. Alors il fallait chercher les mots possibles de l'émancipation féministe, de la démocratie exclusive au consentement par exemple, pour leur donner une consistance conceptuelle et les colporter sur les chemins de l'universel. L'histoire est un bon matériau, les textes anciens comme l'actualité récente, voire les événements tel Metoo. Car il faut s'introduire dans la tradition pour mieux la subvertir. -
Le design : histoire, concepts, combats
Claire Brunet, Catherine Geel
- Gallimard
- Folio essais
- 5 Janvier 2023
- 9782072961410
Le design concerne a priori l'objet et ses métamorphoses à l'ère des masses, il est autant culture de projet que produit industriel. Cet ouvrage défend l'idée que le penser, c'est l'arrimer à des configurations antérieures, le voir en situation, décrire ses tâches circonstanciées, plonger dans une expérience historique. Grandes découpes, séries, objets, figures et controverses. Entre moments célèbres et épisodes plus marginaux, Le design : Histoire, concepts, combats tente de faire imploser les définitions décontextualisées sous l'impact de l'histoire.
Il suit en chacune de ses traversées la leçon d'un Mendini qui écrivait en 1974 : "Nous vivons entourés de problèmes importants : massacres, récession, guerres, énergie. Et pour vivre nous nous attaquons à des petits problèmes. Nous dessinons bien et mal des serrureries et des fouets, des chiottes et des pavillons, des digues et des plans d'urbanisme pendant qu'autour de nous éclatent des bombes."
La discipline design oscille dès lors dans le trouble des dimensions, comme si "les problèmes, fussent-ils très grands, étaient en réalité très petits, et les très petits, très grands". -
"La modernité a tout remis en question.
Notre époque, avec ses besoins de précision, de vitesse, d'énergie, de fragmentation de temps, de diffusion dans l'espace, bouleverse non seulement l'aspect du paysage contemporain, mais encore, en exigeant de l'individu de la volonté, de la virtuosité, de la technique, elle bouleverse aussi sa sensibilité, son émotion, sa façon d'être, de penser, d'agir, tout son langage, bref, la vie.
Cette transformation profonde de l'homme d'aujourd'hui ne peut pas s'accomplir sans un ébranlement général de la conscience et un détraquement intime des sens et du coeur : autant de causes, de réactions, de réflexes qui sont le drame, la joie, l'orgueil, le désespoir, la passion de notre génération écorchée et comme à vif."
Aujourd'hui est à Blaise Cendrars ce que le Manifeste du surréalisme est à André Breton, une profession de foi, un art poétique et une proclamation à la face du monde entier. -
À la fin de l'automne 1908, Proust rentre de Cabourg épuisé. Depuis longtemps, il a renoncé à son oeuvre. Profitant d'un répit que lui laisse sa maladie, il commence un article pour Le Figaro : "Contre Sainte-Beuve". Six mois plus tard, l'article est devenu un essai de trois cents pages. Conversant librement avec sa mère, l'auteur entrelace, autour d'une réflexion sur Sainte-Beuve les souvenirs personnels, les portraits d'amis, les impressions de lecture. Voici le château de Guermantes : voici M. de Quercy et Mme de Cardaillac, grands lecteurs de Balzac, mais qui ressemblent à s'y méprendre à Charlus et à Gilberte. Sans le savoir, Proust venait de libérer son génie.
Proust ne voulait pas qu'on mît des idées dans un roman. Toutes les analyses qu'il a écartées d'À la recherche du temps perdu, on les trouvera ici. Elles confirment que Proust, le plus grand romancier de son siècle, pourrait en être aussi le plus grand critique. -
Vivre de paysage : ou l'impensé de la raison
François Jullien
- Gallimard
- Folio essais
- 13 Janvier 2022
- 9782072971341
« En définissant le paysage comme « la partie d'un pays que la nature présente à un observateur », qu'avons-nous oublié ? Car l'espace ouvert par le paysage est-il bien cette portion d'étendue qu'y découpe l'horizon ? Car sommes-nous devant le paysage comme devant un « spectacle » ? Et d'abord est-ce seulement par la vue qu'on peut y accéder - ou que signifie « regarder » ?
En nommant le paysage « montagne(s)-eau(x) », la Chine, qui est la première civilisation à avoir pensé le paysage, nous sort puissamment de tels partis pris. Elle dit la corrélation du Haut et du Bas, de l'immobile et du mouvant, de ce qui a forme et de ce qui est sans forme, ou encore de ce qu'on voit et de ce qu'on entend... »
F.J.