Le présent volume porte sur les philosophies féministes de ces cinquante dernières années, dont la richesse et l'engagement en font l'un des champs les plus novateurs de la recherche philosophique actuelle : le féminisme marxiste, le féminisme « post-moderne » et la théorie queer, l'épistémologie, l'éthique féministes, l'histoire et la philosophie féministes des sciences, le black feminism et l'intersectionnalité. L'ensemble de ces pensées constitue un vaste corpus riche d'outils critiques pour réfléchir à nouveaux frais sur de nombreux enjeux de la philosophie mais aussi pour éclairer les débats contemporains sur le genre et la sexualité, la matérialité des rapports de pouvoir comme leur articulation et leur représentation dans la modernité, les violences sexuelles et le sexisme.
La Poétique de l'espace explore, à travers les images littéraires, la dimension imaginaire de notre relation à l'espace, en se focalisant sur les espaces du bonheur intime. Le « philosophe-poète » que fût Gaston Bachelard entend ainsi aider ses lecteurs à mieux habiter le monde, grâce aux puissances de l'imagination et, plus précisément, de la rêverie. Aussi l'ouvrage propose-t-il tout d'abord une suite de variations poético-philosophiques sur le thème fondamental de la Maison, de celle de l'être humain aux « maisons animales » comme la coquille ou le nid, en passant par ces « maisons des choses » que sont les tiroirs, les armoires et les coffres. Il ouvre de la sorte une ample réflexion sur l'art d'habiter le monde, impliquant une dialectique de la miniature et de l'immensité, puis du dedans et du dehors, qui s'achève par une méditation des images de la plénitude heureuse, condensant les enjeux anthropologiques, métaphysiques et éthiques de cette oeuvre sans précédent.
Contrairement à ce que le titre a souvent pu laisser penser, il ne s'agit pas d'un livre sur les enfants surdoués. On y trouvera par contre une recherche autour de l'interrogation : pourquoi tant d'adultes doués, qui réussissent dans la vie, souffrent-ils de se sentir étrangers à eux-mêmes, intérieurement vides ? Depuis la première parution de ce livre en 1979, les réponses d'Alice Miller à cette question ont aidé de nombreux lecteurs à trouver un accès à leur propre histoire et à découvrir que la partie précieuse de leur Soi leur était restée cachée jusqu'alors (leur « drame »). Ses lecteurs sont encouragés à chercher les raisons de leur souffrance actuelle dans leur histoire, l'histoire du petit enfant qui ne devait vivre que pour les besoins de ses parents en ignorant ou niant ses propres besoins. Au lieu de payer plus tard avec des dépressions et de nombreuses maladies corporelles pour cette auto-mutilation, l'adulte peut s'en libérer en trouvant l'empathie pour l'enfant qu'il a été et pour sa souffrance muette. Aussitôt qu'il assume sa vérité, bloquée si longtemps dans son corps, il peut commencer à regagner, pas à pas, sa vitalité, la vie authentique qu'il n'avait pas osé vivre.La perception par l'auteur du vécu réel de l'enfant n'est plus en lien avec celle de la psychanalyse, à laquelle Alice Miller reproche de rester dans la vieille tradition qui accuse les enfants et protège les parents, autant dans la théorie que dans la pratique où les rapports des traumatismes réels sont interprétés comme fantasmes.
« J'aime les définitions. J'y vois davantage qu'un jeu ou qu'un exercice intellectuel : une exigence de la pensée. Pour ne pas se perdre dans la forêt des mots et des idées. Pour trouver son chemin, toujours singulier, vers l'universel. La philosophie a son vocabulaire propre : certains mots qui n'appartiennent qu'à elle, d'autres, plus nombreux, qu'elle emprunte au langage ordinaire, auxquels elle donne un sens plus précis ou plus profond. Cela fait une partie de sa difficulté comme de sa force. Un jargon ? Seulement pour ceux qui ne le connaissent pas ou qui s'en servent mal. Voltaire, à qui j'emprunte mon titre, a su montrer que la clarté, contre la folie des hommes, était plus efficace qu'un discours sibyllin ou abscons. Comment combattre l'obscurantisme par l'obscurité ? La peur, par le terrorisme ? La bêtise, par le snobisme ? Mieux vaut s'adresser à tous, pour aider chacun à penser. La philosophie n'appartient à personne. Qu'elle demande des efforts, du travail, de la réflexion, c'est une évidence. Mais elle ne vaut que par le plaisir qu'elle offre : celui de penser mieux, pour vivre mieux. C'est à quoi ces 2 267 définitions voudraient contribuer." Nouvelle édition intégralement revue et augmentée de 613 nouvelles entrées.
Texte phare des sciences sociales, l'Essai sur le don, publié en 1925, a immé-diatement suscité de nombreux commentaires. Ouvrant la sociologie durkhei-mienne à l'analyse ethnographique, il inscrit les sociétés du Pacifique, du potlatch amérindien à la kula mélanésienne, en dialogue avec la culture occidentale. Dans sa présentation, Florence Weber le situe dans l'histoire scientifique et poli-tique du xxe siècle, et propose au lecteur d'explorer l'archipel méconnu de ce que l'on appelle les « prestations sans marché ». Parce qu'elle place les notes savantes en fin de texte, cette édition, que re-commandait Marcel Mauss, simplifie considérablement la lecture.
À travers l'étude du sacrifice, Hubert et Mauss s'intéressent au sacré et au rapport au sacré, dont l'étude ouvre une fenêtre sur la nature de la société puisque les choses sacrées sont choses sociales. À partir de l'idée de l'unité générique du sacrifice qui repose sur le postulat de l'unité du genre humain, la démarche suppose de s'intéresser à toutes les formes de sacrifices rituels pour en tirer le schème général ou type idéal. Ce parti pris méthodologique comparatiste, issu de l'école durkheimienne, fait toute l'originalité de l'essai à son époque et sa pertinence de nos jours, évitant les spéculations généalogiques qui établiraient l'antériorité d'une forme sur une autre. Ce texte classique permet de formuler une série de questions toujours actuelles pour l'ethnographie.
Définir, après les avoir identifiés, les termes juridiques de la langue française, tel est l'objet de ce Vocabulaire juridique. S'appuyant sur un premier travail réalisé par Henri Capitant en 1936, Gérard Cornu a développé « une oeuvre nouvelle par ses entrées, sa méthode, ses auteurs... L'éminente vocation du Vocabulaire juridique est de saisir, dans les définitions, les catégories du droit. » Plus qu'une série de définitions de termes et d'expressions, ce Vocabulaire est un outil de consultation et de recherche indispensable aux juristes, mais aussi un instrument de culture générale nécessaire à la compréhension de notre société, dans laquelle le rôle du droit ne cesse de croître. Depuis sa première édition en 1987, son succès ne s'est jamais démenti. Il s'explique non seulement par la pertinence des définitions, mais aussi par les mises à jour régulières, car le droit est une discipline vivante. Une liste explicative des maximes et adages de droit français, dont certains en latin, complète l'ouvrage.
Penser le temps peut aider à mieux vivre, à condition de se défaire des métaphores qui assimilent la durée à un flux ininterrompu ou à une continuité mélodique. Contre Bergson, Bachelard soutient que la durée, loin d'être un tissu indéchirable, une enveloppe qui nous berce ou qui nous porte, a un caractère essentiellement composite. Elle se forme sur la base discontinue des actes de l'esprit. Pour vérifier cette thèse, Bachelard aborde tour à tour la psychologie de la mémoire et de l'action volontaire, les formes de la causalité en physique, l'observation des phénomènes quantiques, l'esthétique musicale et poétique, les compositions temporelles du sentiment, de la pensée abstraite et de la vie morale. Il en dégage cette leçon générale : durer, c'est ordonner de loin en loin des instants actifs ; c'est composer des rythmes. L'approfondissement métaphysique de cette idée conduit Bachelard à dégager ce qu'il tient pour le noyau « dialectique » de l'expérience temporelle, et plus généralement de la vie de l'esprit : l'oscillation entre activité et repos, être et néant. Le projet de « rythmanalyse » sur lequel débouche cette étonnante enquête suggère que le secret philosophique du repos est dans une existence bien rythmée. De nombreuses applications permettent d'en vérifier l'idée : de l'homéopathie à la chronobiologie, en passant par le travail poétique des ambivalences sentimentales ou l'analyse de « l'état lyrique ». Accompagnée d'une présentation, de notes explicatives, d'une table analytique, d'un index et d'une bibliographie, cette édition permettra à chacun de prendre la mesure de l'originalité et de l'audace d'un essai de philosophie expérimentale qui n'a rien perdu de son actualité depuis sa première publication en 1936.
Tombé presque par hasard sur l'année 1938, un philosophe inquiet du présent est allé de surprise en surprise. Au-delà de ce qui est bien connu (les accords de Munich et la supposée «faiblesse des démocraties »), il a découvert des faits, mais aussi une langue, une logique et des obsessions étrangement parallèles à ce que nous vivons aujourd'hui. L'abandon de la politique du Front populaire, une demande insatiable d'autorité, les appels de plus en plus incantatoires à la démocratie contre la montée des nationalismes, une immense fatigue à l'égard du droit et de la justice : l'auteur a trouvé dans ce passé une image de notre présent. Récidive ne raconte pas l'histoire de l'avant-guerre. Il n'entonne pas non plus le couplet attendu du « retour des années 30 ». Les événements ne se répètent pas, mais il arrive que la manière de les interpréter traverse la différence des temps. En ce sens, les défaites anciennes de la démocratie peuvent nous renseigner sur les nôtres. Récidive est le récit d'un trouble : pourquoi 1938 nous éclaire-t-elle tant sur le présent ?
Avec ce premier livre en français destiné à un large public, le prix Nobel d'économie 2014 nous invite à partager sa passion pour cette discipline. Il défend une certaine vision de l'économie, science qui croise la théorie et les faits au service du bien commun, et de l'économiste, chercheur et homme de terrain. C'est dire que le lecteur pénètre dans l'atelier d'un économiste et voyage à travers les sujets affectant notre quotidien : économie numérique, innovation, chômage, changement climatique, Europe, État, finance, marché... En dressant un panorama des grandes problématiques de l'économie d'aujourd'hui, Jean Tirole nous fait entrer au coeur des théories dont il est le père.
Notre époque est celle d'une crise totale. La crise contemporaine est l'événement en lequel se révèle la logique de l'Histoire qui s'y accomplit. Cette logique est ici restituée à partir de Hegel, qui découvre dans l'Histoire un processus de totalisation achevé dans la « totalité autonome » de l'État, régie par la terreur et la guerre. Cette figure de l'État correspond au concept de totalitarisme. Or le nazisme, caractérisé par la désintégration de l'appareil d'État, montre que le totalitarisme n'est pas forcément étatique : il existe un processus immanent de totalisation dont les régimes totalitaires ne furent que des phénomènes. Ce processus est celui que Tocqueville a vu dans la massification des sociétés dites démocratiques. Il échoue à l'expliquer, le fondant sur la Providence divine, mais a vu son lien avec la révolution industrielle. C'est Marx qui a pensé jusqu'au bout le processus de totalisation immanent au champ des pratiques, en découvrant dans le Capital la puissance de mobilisation et de massification motrice de l'industrialisation : le capitalisme est en cela l'essence du totalitarisme contemporain, et la mondialisation n'est autre que la totalisation propre au Capital. Le surmontement de la crise s'identifie dès lors au dépassement du capitalisme. Mais le capitalisme se définit par l'autonomisation du système des objets par rapport à la communauté des sujets ; l'automatisation propre au dispositif technique est plus fondamentale que le capitalisme. Notre époque est ainsi celle du « totalitarisme technocratique » analysé par Anders : menace d'une mécanisation de l'humanité, c'est-à-dire de sa déshumanisation. Reste alors à penser ce qui se dit dans une telle catastrophe.
La responsabilité (1920) est un texte fondateur de l'école française de sociologie. Son auteur, Paul Fauconnet, l'un des principaux disciples d'Émile Durkheim, fut longtemps une référence incontournable, avant de tomber dans l'oubli. Ce classique a pourtant une importance théorique décisive : s'appuyant sur des leçons inédites de son maître, Fauconnet y propose une théorie générale et systématique de la responsabilité pénale d'un point de vue sociologique. En étudiant l'imputation de responsabilité comme un phénomène variable suivant les lieux et les époques, l'enquête aboutit à une compréhension révolutionnaire des mécanismes de jugement et de condamnation. Fauconnet quitte alors le domaine juridique et tire de son analyse de la responsabilité criminelle une théorie du libre-arbitre qui déplace le rapport traditionnellement établi entre déterminisme et liberté, redéfinissant du même coup le projet politique de la sociologie. Dans cette première édition commentée, le lecteur est guidé sur le chemin d'une théorie d'une grande actualité dont la portée considérable s'étend du droit pénal au droit social en passant par la philosophie politique et l'histoire de la sociologie.
Le contemporain démocratique nous invite, depuis quelques décennies, à penser le sexe et le genre. La légitimité de cette réflexion s'affirme enfin. Dans cet ouvrage qui réunit La controverse des sexes, La différence des sexes et un recueil d'articles inédits, la démarche privilégie l'« à côté » d'une recherche des définitions et des identités. Le passage conceptuel de « sexe » à « genre » demande une distance critique. C'est à partir d'un repérage des lieux dans une histoire de la pensée philosophique, littéraire et factuelle que les questions philosophiques sont identifiées et développées par l'autrice. Car il s'agit de comprendre ce qui surgit quand égalité et liberté se révèlent comme des enjeux, dans la politique et la création, l'économique et le corps, la pensée et l'agir. La longue histoire de la philosophie, quelques scènes littéraires contemporaines, et la mise à l'épreuve de débats récents, tout contribue à restituer l'importance de l'émancipation féministe au regard du monde.
« Saisir la pensée scientifique contemporaine dans sa dialectique et en montrer ainsi la nouveauté essentielle, tel est le but philosophique de ce petit livre. » Cette phrase de Gaston Bachelard donne l'ambition du projet. En prenant pour modèle la révolution axiomatique des géométries non-euclidiennes, Bachelard démontre dans cet ouvrage publié pour la première fois en 1934 la nouveauté des théories physiques contemporaines - théorie de la relativité restreinte et générale et mécanique quantique. Celles-ci ont modifié les bases du savoir et rompu avec les représentations classiques. Bachelard en induit la nécessité de réviser en profondeur nos conceptions métaphysiques et les images qui s'y rattachent. Il analyse ainsi comment la relativité einsteinienne transforme les notions de temps et d'espace et la microphysique périme la notion de « chose ». À la lumière de ses analyses, la méthode scientifique apparaît comme « non-cartésienne », c'est-à-dire qu'elle ne s'appuie plus sur un fondement absolu et des idées simples mais consiste, au contraire, à réviser constamment ses hypothèses pour mieux épouser la complexité des phénomènes.
« L'éducation est l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné. » Ce volume rassemble quatre études exposant les idées maîtresses de Durkheim dont l'intérêt est toujours d'actualité quant aux problèmes abordés et par la manière à la fois raisonnable et optimiste de chercher à les résoudre. Un classique de la pédagogie et de la sociologie.
Dans le livre Gamma de la Métaphysique, Aristote met en oeuvre le programme exposé dans les deux précédents livres du recueil : il y définit la philosophie, cette « science première » qu'ont recherchée sans succès ses prédécesseurs, comme la science qui « contemple ce qui est en tant qu'il est ». Ces pages sont à leur tour le début de la tradition métaphysique occidentale, à laquelle Aristote donne pour projet une connaissance de l'essence des choses, de leur « réalité », l'ousia. Une réalité qui ne peut être atteinte et connue qu'à la condition d'une réflexion sur les contraires qui semblent constituer toutes choses et d'une réflexion sur le principe de contradiction que doivent respecter tous nos discours et toutes nos pensées : « il est impossible que le même appartienne et n'appartienne pas à la même chose en même temps et sous le même aspect ». Avec ce principe, Aristote donne à la parole et à la pensée rationnelles leur condition première.
Quel est l'héritage de Pierre Bourdieu aujourd'hui ? Quel apport son oeuvre fournit-elle à l'élaboration contemporaine de nouvelles théories et de nouvelles politiques ? La pensée de l'auteur de La distinction continue à servir de point d'ancrage à ceux qui entendent fournir des instruments de réflexion et de critique de la réalité.Chacun à leur manière, Annie Ernaux, Didier Eribon, Arlette Farge, Frédéric Lordon, Geoffroy de Lagasnerie, Frédéric Lebaron et Édouard Louis montrent à quel point Pierre Bourdieu constitue une source inépuisable pour aborder des sujets aussi divers et actuels que la domination et la reproduction sociale, les rapports de classe, les théories de la reconnaissance et de la justice, l'amour et l'amitié, les luttes et les mouvements sociaux, la politique et la démocratie, etc. Ces textes s'efforcent de mettre au jour ce que Pierre Bourdieu a rendu pensable et visible bien au-delà de la sociologie, c'est-à-dire dans tous les espaces de la création : la littérature, l'art, l'histoire ou encore la philosophie.Faire vivre Bourdieu, ce n'est pas seulement faire vivre une doctrine. C'est avant tout réactiver une attitude : l'insoumission.
Pour Hitler, le passé de la race, celui qui doit emplir de fierté les Allemands, ne se trouve pas en Germanie, mais en Grèce et à Rome. Une réécriture de l'Histoire, qui annexe la Méditerranée à la race nordique, investit le discours nazi et l'espace public allemand. Les peuples aryens de l'Antiquité peuvent dès lors servir d'inspiration et de modèle pour construire une société et un homme nouveaux : tandis que Sparte rappelle comment fondre des individualités en une communauté solidaire, Rome est le meilleur exemple quand il s'agit d'édifier un Empire. L'Antiquité grecque et romaine enseigne comment se perpétuer dans une mémoire monumentale et héroïque, celle du mythe. Cet ouvrage, qui restitue une autre histoire de l'Antiquité, fait pénétrer au coeur du projet totalitaire nazi : il s'agit de dominer non seulement le présent et l'avenir mais aussi un passé réécrit et instrumentalisé.
Nous applaudissons toujours Molière avec ferveur, mais sommes-nous bien certains de le comprendre ? Les mises en scène les plus marquantes et les plus novatrices d'aujourd'hui font valoir sa profondeur psychologique ou l'audace de ses idées morales, mais parfois au détriment du rire joyeux et profond qui est la marque propre de son génie et à donner sens à son théâtre. Un constat s'impose : on a tiré Molière du côté du drame, on l'a joué comme Ibsen ou Tchékhov, dans l'idée, peut-être, que la gravité, la tristesse et la mélancolie constituaient un label suprême de qualité. Le malentendu date au moins du romantisme, mais il s'est accentué. Il est urgent de le dissiper pour réapprendre à lire Molière et surtout pour retrouver les plaisirs dont nous avons été privés. Il faut tout d'abord oublier la distinction factice entre hautes et basses comédies. La farce nous conduit dans l'étrange, dans un domaine à la fois hilarant et sérieux où l'on triomphe, en riant, de la violence et de la mort. De plus, certaines comédies-ballets sont jouées sans leurs parties lyriques, réduites au texte seul. C'est méconnaître gravement l'intention de Molière, baladin aux multiples talents, émerveillé dès les débuts de sa carrière parisienne et jusqu'à son dernier souffle par une forme neuve de spectacle et une vision plus large de la vie.
Dernier ouvrage d'épistémologie de Gaston Bachelard, Le Matérialisme rationnel (1953) étudie la chimie, définie comme la science des transformations et des créations matérielles. Il commence par interroger les conditions d'émergence de cette science, en soulignant la rupture qu'elle a dû opérer avec l'alchimie et la cosmologie, où Bachelard décèle le jeu de l'imaginaire et les symboles de l'inconscient. À travers une lecture philosophique passionnée des traités scientifiques, il pose ensuite de manière remarquablement précise la question des relations entre chimie contemporaine et physique nucléaire. Il y voit une rencontre historique entre deux rationalismes régionaux et cherche à préciser les termes de l'unification de ces deux traditions théoriques et expérimentales. Il montre enfin que la nouvelle ontologie de l'énergie qui émerge au croisement de ces deux disciplines déborde de toutes parts les catégories philosophiques traditionnelles. Cet ouvrage est présenté dans une nouvelle édition critique comportant une présentation, des notes explicatives, une table analytique, un index et une bibliographie.
Entrer dans la pensée de Nietzsche implique de comprendre avant toute chose le déplacement de problématique qu'il impose à la philosophie. Du fait de la vision erronée qui a porté les philosophes à trahir l'exigence qui définit celle-ci, une réorientation de questionnement s'avère nécessaire, substituant désormais la problématique de la culture, c'est-à-dire l'enquête en termes de valeurs, à la traditionnelle, mais superficielle, recherche de la vérité. Cette redétermination fait alors apparaître la logique qui relie les notions structurant la réflexion nietzschéenne - valeurs, gai savoir, inactualité, réalité comme commandement, interprétation, philologie, sens historique - et dessine la véritable « tâche d'avenir du philosophe ». Elle révèle en effet que l'homme tel qu'il existe actuellement ne fut qu'un essai effectué sur les possibilités de vivre, qui sont loin d'avoir été épuisées, et que la philosophie elle-même prend ultimement la forme d'une tâche pratique, transformatrice, articulée à la recherche de formes nouvelles d'organisation de la vie, porteuse d'une « élévation de l'homme ».
Quels sont les événements historiques qui inaugurent, jalonnent et clôturent le Moyen Âge français ? Comment un ensemble de régions dominées par les Francs devient-il progressivement le royaume de France ? Quelles sont les valeurs sur lesquelles s'est construite la société médiévale et quelle a été leur évolution ? Parcourant mille ans d'histoire française dans un style clair et précis, Claude Gauvard visite la France médiévale, de la fin de l'Empire romain d'Occident jusqu'au crépuscule du XVe siècle. Évoquant tour à tour les aspects économiques, politiques, mais aussi sociaux et culturels de la France médiévale, l'historienne démontre avec brio à quel point cette période, éloignée des stéréotypes négatifs issus de la Renaissance, a ses valeurs propres fondées sur l'honneur, tout en préfigurant déjà l'État moderne.
Le livre Bêta de la Métaphysique examine une quinzaine d'apories consacrées à la science première, à la réalité, à l'être, aux principes qui constituent toutes choses. Ce sont des difficultés, dont Aristote soutient que l'on ne pourra philosopher convenablement, selon les termes du programme qu'il a établi dans le livre Alpha, qu'en les examinant minutieusement. Non pas simplement en leur apportant une réponse, comme d'autres ont pu le faire avant lui, mais en étudiant la manière dont des penseurs ont abordé ces difficultés et dont ils en ont fait des problèmes, avec plus ou moins de succès. La philosophie, montre Aristote en faisant dialoguer et se confronter des opinions philosophiques opposées, trouve son excellence dans son aptitude à poser les bonnes questions et à forger les problèmes à même de satisfaire le désir de connaissance qui est le propre de notre nature.
L'ouvrage regroupe cinq textes majeurs de Marcel Mauss, rédigés entre 1921 et 1938, qui explorent la possibilité d'une coopération entre psychologie et sociologie à partir de l'analyse précise d'une documentation ethnographique et historique. Depuis l'expression obligatoire des sentiments dans les cérémonies funéraires australiennes jusqu'à l'histoire de la notion de personne comme catégorie de l'esprit humain, en passant par l'étude du rapport des individus à l'avenir dans différents contextes socio-historiques et par la genèse sociale des relations de hiérarchie et de rivalité, Mauss a tenté de construire avec les psychologues et les anthropologues de son temps, généralement formés en médecine, un modèle de l'homme bio-psycho-social avant de se tourner vers la psychologie historique et l'histoire des techniques. Cet ouvrage montre l'apport décisif de Marcel Mauss à la psychologie sociale.