Philosophie
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Vers l'écologie de guerre : Une histoire environnementale de la paix
Pierre Charbonnier
- La découverte
- 29 Août 2024
- 9782348072222
L'étrange hypothèse qui structure ce livre est que la seule chose plus dangereuse que la guerre pour la nature et le climat, c'est la paix. Nous sommes en effet les héritiers d'une histoire intellectuelle et politique qui a constamment répété l'axiome selon lequel créer les conditions de la paix entre les hommes nécessitait d'exploiter la nature, d'échanger des ressources et de fournir à tous et toutes la prospérité suffisante. Dans cette logique, pour que jalousie, conflit et désir de guerre s'effacent, il fallait d'abord lutter contre la rareté des ressources naturelles. Il fallait aussi un langage universel à l'humanité, qui sera celui des sciences, des techniques, du développement.
Ces idées, que l'on peut faire remonter au XVIIIe siècle, ont trouvé au milieu du XXe une concrétisation tout à fait frappante. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le développement des infrastructures fossiles a été jumelé à un discours pacifiste et universaliste qui entendait saper les causes de la guerre en libérant la productivité. Ainsi, la paix, ou l'équilibre des grandes puissances mis en place par les États-Unis, est en large partie un don des fossiles, notamment du pétrole.
Au XXIe siècle, ce paradigme est devenu obsolète puisque nous devons à la fois garantir la paix et la sécurité et intégrer les limites planétaires : soit apprendre à faire la paix sans détruire la planète. C'est dans ce contexte qu'émerge la possibilité de l'écologie de guerre, selon laquelle soutenabilité et sécurité doivent désormais s'aligner pour aiguiller vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce livre est un appel lancé aux écologistes pour qu'ils apprennent à parler le langage de la géopolitique. -
Rendre le monde indisponible
Rosa Hartmut
- La découverte
- Poche / Sciences humaines et sociales
- 7 Septembre 2023
- 9782348080289
Dominer le monde, exploiter ses ressources, en planifier le cours... Le projet culturel de notre modernité semble parvenu à son point d'aboutissement : la science, la technique, l'économie, l'organisation sociale et politique ont rendu les êtres et les choses disponibles de manière permanente et illimitée.
Mais alors que toutes les expériences et les richesses potentielles de l'existence gisent à notre portée, elles se dérobent soudain à nous. Le monde se referme mystérieusement ; il devient illisible et muet. Le désastre écologique montre que la conquête de notre environnement façonne un milieu hostile. Le surgissement de crises erratiques révèle l'inanité d'une volonté de contrôle débouchant sur un chaos généralisé. Et, à mesure que les promesses d'épanouissement se muent en injonctions de réussite et nos désirs en cycles infinis de frustrations, la maîtrise de nos propres vies nous échappe.
S'il en est ainsi, suggère Hartmut Rosa, c'est que le fait de disposer à notre guise de la nature, des personnes et de la beauté qui nous entourent nous prive de toute résonance avec elles. Telle est la contradiction fondamentale dans laquelle nous nous débattons. Pour la résoudre, cet essai ne nous engage pas à nous réfugier dans une posture contemplative, mais à questionner notre relation au monde. -
Abondance et liberté : Une histoire environnementale des idées politiques
Pierre Charbonnier
- La découverte
- Poche / Sciences humaines et sociales
- 29 Août 2024
- 9782348084645
Sous la forme d'une magistrale enquête philosophique et historique, ce livre propose une histoire inédite : une histoire
environnementale des idées politiques modernes. Il n'ambitionne donc pas de chercher dans ces dernières les germes de la pensée écologique, mais bien de montrer comment toutes, qu'elles se revendiquent ou non de l'idéal écologiste, sont informées par une certaine conception du rapport à la terre et à l'environnement.
Il se trouve que les principales catégories politiques de la modernité se sont fondées sur l'idée d'une amélioration de la nature, d'une victoire décisive sur ses avarices et d'une illimitation de l'accès aux ressources terrestres. Ainsi la société politique d'individus libres, égaux et prospères voulue par les Modernes s'est-elle pensée, notamment avec l'essor de l'industrie assimilé au progrès, comme affranchie vis-à-vis des pesanteurs du monde.
Or ce pacte entre démocratie et croissance est aujourd'hui remis en question par le changement climatique et le bouleversement des équilibres écologiques. Il nous revient donc de donner un nouvel horizon à l'idéal d'émancipation politique, étant entendu que celui-ci ne peut plus reposer sur les pro-messes d'extension infinie du capitalisme industriel. -
Au bonheur des morts ; récits de ceux qui restent
Vinciane Despret
- La découverte
- Poche / Essais
- 31 Août 2017
- 9782707197801
" Faire son deuil ", tel est l'impératif qui s'impose à tous ceux qui se trouvent confrontés au décès d'un proche. Se débarrasser de ses morts est-il un idéal indépassable auquel nul ne saurait échapper s'il ne veut pas trop souffrir ? L'auteure a écouté ce que les gens racontent dans leur vie la plus quotidienne. " J'ai une amie qui porte les chaussures de sa grand-mère afin qu'elle continue à arpenter le monde. Une autre est partie gravir une des montagnes les plus hautes avec les cendres de son père pour partager avec lui les plus beaux levers de soleil, etc. " Elle s'est laissé instruire par les manières d'être qu'explorent, ensemble, les morts et les vivants. Elle a su apprendre de la façon dont les vivants se rendent capables d'accueillir la présence de leurs défunts.
Depuis un certain temps, les morts s'étaient faits discrets, perdant toute visibilité. Aujourd'hui, il se pourrait que les choses changent et que les morts soient à nouveau plus actifs. Ils viennent parfois réclamer, plus fréquemment proposer leur aide, soutenir ou consoler... Ils le font avec tendresse, souvent avec humour. On dit trop rarement à quel point certains morts peuvent nous rendre heureux !
Prix des Rencontres philosophiques de Monaco 2016
Prix de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique 2019 -
Où atterrir ? comment s'orienter en politique
Bruno Latour
- La découverte
- Cahiers libres
- 19 Octobre 2017
- 9782707197818
Peut-on continuer à faire de la politique comme si de rien n'était, comme si tout n'était pas en train de s'effondrer autour de nous ? Dans ce court texte politique, Bruno Latour propose de nouveaux repères, matérialistes, enfin vraiment matérialistes, à tous ceux qui veulent échapper aux ruines de nos anciens modes de pensée.
Cet essai voudrait relier trois phénomènes que les commentateurs ont déjà repérés mais dont ils ne voient pas toujours le lien -; et par conséquent dont ils ne voient pas l'immense énergie politique qu'on pourrait tirer de leur rapprochement.
D'abord la " dérégulation " qui va donner au mot de " globalisation " un sens de plus en plus péjoratif ; ensuite, l'explosion de plus en plus vertigineuse des inégalités ; enfin, l'entreprise systématique pour nier l'existence de la mutation climatique.
L'hypothèse est qu'on ne comprend rien aux positions politiques depuis cinquante ans, si l'on ne donne pas une place centrale à la question du climat et à sa dénégation. Tout se passe en effet comme si une partie importante des classes dirigeantes était arrivée à la conclusion qu'il n'y aurait plus assez de place sur terre pour elles et pour le reste de ses habitants. C'est ce qui expliquerait l'explosion des inégalités, l'étendue des dérégulations, la critique de la mondialisation, et, surtout, le désir panique de revenir aux anciennes protections de l'État national.
Pour contrer une telle politique, il va falloir
atterrir quelque part. D'où l'importance de savoir
comment s'orienter. Et donc dessiner quelque chose comme une
carte des positions imposées par ce nouveau paysage au sein duquel se redéfinissent non seulement les
affects de la vie publique mais aussi ses
enjeux. -
Se défendre ; une philosophie de la violence
Elsa Dorlin
- La découverte
- Poche / Sciences humaines et sociales
- 3 Octobre 2019
- 9782348054976
En 1685, le Code noir défendait " aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâtons " sous peine de fouet. Au XIXe siècle, en Algérie, l'État colonial interdisait les armes aux indigènes, tout en accordant aux colons le droit de s'armer. Aujourd'hui, certaines vies comptent si peu que l'on peut tirer dans le dos d'un adolescent noir au prétexte qu'il était " menaçant ".
Une ligne de partage oppose historiquement les corps " dignes d'être défendus " à ceux qui, désarmés ou rendus indéfendables, sont laissés sans défense. Ce " désarmement " organisé des subalternes pose directement, pour tout élan de libération, la question du recours à la violence pour sa propre défense.
Des résistances esclaves au ju-jitsu des suffragistes, de l'insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer, Elsa Dorlin retrace une généalogie de l'autodéfense politique. Sous l'histoire officielle de la légitime défense affleurent des " éthiques martiales de soi ", pratiques ensevelies où le fait de se défendre en attaquant apparaît comme la condition de possibilité de sa survie comme de son devenir politique. Cette histoire de la violence éclaire la définition même de la subjectivité moderne, telle qu'elle est pensée dans et par les politiques de sécurité contemporaines, et implique une relecture critique de la philosophie politique, où Hobbes et Locke côtoient Frantz Fanon, Michel Foucault, Malcolm X, June Jordan ou Judith Butler. -
James Lovelock n'a pas eu de chance avec l'hypothèse Gaïa. En nommant ainsi le système fragile et complexe par lequel les phénomènes vivants modifient la Terre, on a cru qu'il parlait d'un organisme unique, voire d'une Providence divine. Rien n'était plus éloigné de sa tentative. Gaïa n'est pas le Globe, la Terre-Mère, une déesse païenne. Elle n'est pas non plus la Nature, telle qu'on l'imagine depuis le XVIIe siècle, cette Nature qui sert de pendant à la subjectivité humaine.
À cause des effets imprévus de l'histoire humaine, ce que nous regroupions sous le nom de Nature quitte l'arrière-plan et monte sur scène. L'air, les océans, les glaciers, le climat, les sols, tout ce que nous avons rendu instable interagit avec nous. Nous sommes entrés dans la géohistoire. C'est l'époque de l'Anthropocène. Avec le risque d'une guerre de tous contre tous. L'ancienne Nature disparaît et laisse place à un être dont il est difficile de prévoir les manifestations. Loin d'être stable et rassurant, il est constitué de boucles de rétroactions en perpétuel bouleversement.
En explorant les mille figures de Gaïa, on peut déplier tout ce que la notion de Nature avait confondu : une éthique, une politique, une étrange conception des sciences et, surtout, une économie, voire une théologie. -
No fear of the dark : Une sociologie du Heavy Metal
Rosa Hartmut
- La découverte
- 2 Mai 2024
- 9782348082955
Dans ce livre très original, Hartmut Rosa analyse les ressorts, les ambivalences et les potentialités d'un phénomène culturel parmi les plus énigmatiques des dernières décennies. De l'Indonésie au Brésil en passant par la Scandinavie, le Japon ou la Mongolie, le metal est l'une des musiques les plus populaires au monde bien qu'elle soit diffusée, jouée et écoutée en dehors des réseaux médiatiques dominants.
Grand fan de metal et musicien amateur, le philosophe allemand produit ici une sociologie stupéfiante de ce sousgenre musical dont la profondeur et l'ambition sont souvent incomprises. Il ne se contente pas de montrer
qui écoute du metal - principalement des hommes, plus sociables et sensibles que la moyenne, souvent issus des périphéries, dont le rapport à la musique est au centre de leur vie. Il cherche surtout à comprendre
pourquoi on en écoute, et ce que
cela fait à ses auditeurs.
À la différence de la musique pop, ou de celles qui cherchent les combinaisons les plus harmonieuses, le metal, lui, ne refoule rien. L'aliénation, les convulsions de notre existence, la mort : tout cela est palpable, audible, présent, dans les textes et les visuels. Mais elles n'ont pas le dernier mot. À la corruption du monde, la musique répond par son chant, ses sonorités. Elle porte ainsi également une promesse, celle d'une résonance singulière avec le monde, qui, si l'on parvient à s'en saisir, ouvre sur une vibration existentielle que la plupart des autres aspects de nos vies modernes éludent ou négligent. -
Pourquoi la démocratie a besoin de la religion
Hartmut Rosa
- La découverte
- 7 Septembre 2023
- 9782348079634
Partout en Europe, et indépendamment des scandales qui les traversent, les Églises chrétiennes font face à des difficultés majeures et voient de plus en plus de fidèles déserter leurs rangs. On pourrait sans doute s'en réjouir. Après tout, la religion peut être perçue comme une force obscurantiste et réactionnaire, voire archaïque, un obstacle dressé face aux choix rationnels et aux élans émancipateurs de la modernité.
Le célèbre sociologue Hartmut Rosa, lui, suggère une tout autre analyse et s'inquiète des effets de cette crise : que se passe-t-il quand la religion dans son ensemble n'a plus d'écho dans les sociétés démocratiques ? Que perd la société quand la religion n'y joue plus aucun rôle ? Quel est l'avenir d'une démocratie sans religion ? Est-il vraiment sage de renoncer au riche trésor du religieux ?
Avec son acuité habituelle, Hartmut Rosa nous montre que cette situation de crise aiguë coïncide avec le triomphe d'un rapport instrumental au monde né à l'aube de la modernité capitaliste. Ainsi, ce que nous perdrions avec l'effacement de la religion, ce ne sont pas seulement une série d'histoires, de croyances ou de rituels, mais avant tout une capacité à entrer en résonance avec le monde, à le laisser venir à nous et à lui permettre de guérir des traumas que nous lui avons infligés. -
Un soir de mai 1975, le philosophe Michel Foucault contempla Vénus s'élever dans le ciel étoilé au-dessus du désert des Mojaves, dans la vallée de la Mort, en Californie. Quelques heures auparavant, il avait ingéré une dose de LSD offerte par les jeunes hôtes américains qui avaient organisé pour lui ce road trip hors du commun. Ce fut une nuit d'hallucination et d'extase, qu'il décrira comme l'une des " expériences les plus importantes de [sa] vie ", ayant bouleversé son existence et son oeuvre.
Cet épisode, rapporté par certains biographes, a longtemps été sujet à caution, considéré comme tenant davantage de la légende que de la réalité. C'était avant que ne soit redécouverte plus de quarante ans plus tard une archive étonnante : le récit détaillé de cette aventure, consigné à l'époque par Simeon Wade, le jeune universitaire californien qui avait entraîné l'auteur de l'
Histoire de la folie dans cette expérience psychédélique. -
Théâtres du monde : Fabriques de la nature en Occident
Frédérique Aït-Touati
- La découverte
- 4 Avril 2024
- 9782348082894
Une machine organisant l'intégralité des savoirs, une île entièrement contrôlée par les techniques humaines, une théorie expliquant tout ce qui semble incompréhensible : les inventions des premiers modernes sont des tentatives de totalisation, des dispositifs matériels ou spéculatifs pour tenter de saisir ce qui nous échappe - les puissances de la nature, la multiplicité des êtres.
Mettre le monde au creux de sa main, dans sa pensée ou sur une scène sont des manières de ramener l'immense à notre mesure. Confrontés à un monde qui n'a plus ni bornes ni centre, les philosophes, artistes et savants du XVIIe siècle inventent des petits théâtres pour échapper au vertige. Dans des lieux imaginaires ou réels, ils fabriquent la " nature " - cette singulière conception d'une scène séparée de la scène humaine, peuplée de forces incontrôlables qu'il faut apprivoiser, imiter, voire maîtriser pour pouvoir ensuite les mettre au service des puissants. C'est là que s'invente en partie l'étrange cosmologie des modernes.
En observant l'intrication étroite entre les scènes esthétiques, scientifiques et politiques au tournant du XVIe et du XVIIe siècle, cette enquête envisage la rupture de la modernité occidentale et son épuisement à partir de quelques-uns de ses lieux et artefacts. La Terre reste insaisissable sans les outils, organon, images, scènes et récits que nous ne cessons de fabriquer. On peut aujourd'hui tenter de les réinterpréter, non comme les responsables de nos dérives anthropocéniques, mais comme des petits mondes clos pour tenter d'habiter le chaos du monde. -
Traiter de la Terre, c'est avoir à l'esprit une chaîne symbiotique : celle du vivant, dans ses innombrables déploiements. Les humains, les espèces animales et végétales, les microbes, bactéries et virus, les corps inorganiques et les substances minérales ainsi que les dispositifs technologiques et autres appareillages artificiels font inséparablement partie de cette chaîne du vivant. Mais c'est aussi le cas, du moins dans les pensées animistes africaines, de toutes les forces invisibles, des génies, des esprits et des masques.
Prenant fermement appui sur l'insondable richesse de ces pensées, Achille Mbembe propose dans cet essai une réflexion stimulante sur la Terre, ses devenirs, et surtout la sorte de communauté qu'elle forme avec la cohorte des espèces animées et inanimées qui l'habitent, y ont trouvé refuge ou y séjournent.
Il montre comment notre relation fondamentale à la Terre ne peut être que celle de l'habitant et du passant. C'est en tant qu'habitant et passant qu'elle nous accueille et nous abrite, qu'elle entretient les traces de notre passage, celles qui parlent en notre nom et en mémoire de qui nous aurons été, avec d'autres et au milieu d'eux. C'est à ce titre qu'elle est la toute dernière des utopies, la pierre angulaire d'une nouvelle conscience planétaire. -
Si le mouvement transhumaniste en tant que tel ne regroupe pas une foule d'adhérents, les thématiques qu'il cherche à penser et à promouvoir - allongement de la durée de vie, biotechnologies, robotique, intelligence artificielle - mobilisent un très grand nombre de chercheurs, institutions et entreprises. Comme utilisateurs d'informatique, travailleurs, patients, citoyens, nous sommes tous touchés. Parce qu'il est un technicisme et un individualisme, le transhumanisme constitue un miroir grossissant de notre société.
Pour faciliter la compréhension du transhumanisme, cet ouvrage commence par en retracer l'histoire. Il en aborde ensuite les trois thèmes constitutifs : la quête de l'immortalité, la volonté d'augmentation et l'intelligence artificielle forte. Il montre enfin comment la pensée transhumaniste s'inscrit dans des débats de société tels que le genre, l'écologie, la politique et la religion. -
Contes de la Lune : Essai sur la fiction et la science modernes
Frédérique Aït-Touati
- La découverte
- Poche / Sciences humaines et sociales
- 28 Mars 2024
- 9782348083587
Alors que les travaux de Kepler, Galilée et Newton révolutionnent la perception du monde, les astres et autres objets célestes échappent largement à la connaissance. Comment décrire ces réalités lointaines, comment y accéder en pensée ? Au XVIIe siècle, la fiction devient l'outil nécessaire pour dépasser les limites des premiers télescopes et fournir à la science les moyens de se forger une nouvelle représentation du cosmos. À la mathématisation du monde et au développement des disciplines expérimentales se joignent ainsi les récits de voyages lunaires, les fables sur l'art de voler et l'éloquence du merveilleux.
À la croisée des études littéraires et de l'histoire des sciences, ce livre publié en 2011 a marqué un tournant dans la discussion contemporaine sur les pouvoirs de la fiction. En montrant comment les arts ont nourri le développement de la science moderne, Frédérique Aït-Touati redéfinit radicalement les liens entre deux cultures loin d'être antagonistes : mues par la même curiosité exploratoire, science et fiction apparaissent étroitement enchevêtrées dans leur pensée et leurs modes d'action. Un ouvrage désormais classique sur la puissance cognitive de la littérature et l'audace imaginative de la science. -
Qu'ont en commun une chaudière, une voiture, un panneau de signalétique, un smartphone, une cathédrale, une oeuvre d'art, un satellite, un lave-linge, un pont, une horloge, un serveur informatique, le corps d'un illustre homme d'État, un tracteur ? Presque rien, si ce n'est qu'aucune de ces choses, petite ou grande, précieuse ou banale, ne perdure sans une forme d'entretien. Tout objet s'use, se dégrade, finit par se casser, voire par disparaître. Pour autant, mesure-t-on bien l'importance de la maintenance ? Contrepoint de l'obsession contemporaine pour l'innovation, moins spectaculaire que l'acte singulier de la réparation, cet art délicat de faire durer les choses n'est que très rarement porté à notre attention.
Ce livre est une invitation à décentrer le regard en mettant au premier plan la maintenance et celles et ceux qui l'accomplissent. En suivant le fil de différentes histoires, ses auteurs décrivent les subtilités du " soin des choses " pour en souligner les enjeux éthiques et la portée politique. Parce que s'y cultive une attention sensible à la fragilité et que s'y invente au jour le jour une diplomatie matérielle qui résiste au rythme effréné de l'obsolescence programmée et de la surconsommation, la maintenance dessine les contours d'un monde à l'écart des prétentions de la toute-puissance des humains et de l'autonomie technologique. Un monde où se déploient des formes d'attachement aux choses bien moins triviales que l'on pourrait l'imaginer.
Prix 2023 de l'Académie d'Architecture du Livre d'architecture -
Le contrat sexuel
Carole Pateman
- La découverte
- Poche / Sciences humaines et sociales
- 1 Septembre 2022
- 9782348075346
Par quel étrange paradoxe le contrat social, censé instituer la liberté et l'égalité civiles, a-t-il maintenu les femmes dans un état de subordination ? Pourquoi, dans le nouvel ordre social, celles-ci n'ont-elles pas accédé, en même temps que les hommes, à la condition d'" individus " émancipés ?
Les théories du contrat social, héritées de Locke et de Rousseau, et renouvelées depuis Rawls, ne peuvent ignorer les enjeux de justice que soulève le genre. Carole Pateman montre, dans cet ouvrage désormais classique, que le passage de l'ordre ancien du statut à une société moderne du contrat ne marque en rien la fin du patriarcat. La philosophe met ainsi au jour l'envers refoulé du contrat social : le " contrat sexuel ", qui, via le partage entre sphère privée et sphère publique, fonde la liberté des hommes sur la domination des femmes. Il s'agit là moins d'exploitation que de subordination, comme le démontre l'autrice en analysant le contrat de mariage, mais aussi l'ensemble des contrats touchant à la propriété de la personne, de la prostitution à la maternité de substitution, jusqu'à l'esclavage et au salariat. Ainsi s'engage, à partir du féminisme, une critique de la philosophie politique libérale dans son principe même : pour Carole Pateman, un ordre social libre ne peut en aucun cas être de type contractuel. -
Introduction à Bernard Charbonneau
Patrick Chastenet
- La découverte
- Repères
- 11 Avril 2024
- 9782348083525
" On ne peut poursuivre un développement infini dans un monde fini. " Partisan dès les années 1930 d'une limitation volontaire de la croissance économique, Bernard Charbonneau (1910-1996) voulait faire du " sentiment de la nature " au sein du personnalisme ce qu'avait été la conscience de classe pour le socialisme. Selon lui, l'homme a autant besoin de nature que de liberté, mais la civilisation techno-industrielle menace les deux.
Dans ses nombreux livres, il fustige la standardisation des goûts et les méfaits d'une agro-industrie provoquant la triple éradication des paysans, des paysages et des nourritures savoureuses. Il souligne le paradoxe du tourisme de masse qui correspond à un désir authentique d'échapper à l'enfer urbain, mais qui saccage les espaces découverts par les pionniers et entraîne ce à quoi le touriste voulait échapper : la promiscuité, le béton et la réglementation. La croissance mène à une impasse et Charbonneau fut le premier à le dire en France. Sa pensée écologiste, humaniste et ironique constitue une joyeuse invitation à la réflexion et à l'action. -
Abolir l'exploitation
Emmanuel Renault
- La découverte
- L'horizon des possibles
- 12 Octobre 2023
- 9782348081057
Sait-on seulement ce qu'est l'exploitation ? La réponse n'a rien de trivial. Pour certains, l'exploitation est une chimère ; pour d'autres, elle relève de l'évidence. Même si le terme est encore utilisé pour dénoncer des situations d'injustice et de domination, il a presque disparu des débats politiques, sociologiques et philosophiques. Aux premières heures du mouvement ouvrier, l'exigence d'abolir l'exploitation constituait pourtant l'un des traits singuliers du socialisme avant d'être reformulée et élargie par des féministes.
L'exploitation reste une expérience commune ; son concept peut, doit redevenir un outil puissant d'analyse et de combat. Peut-on s'en priver pour saisir le lien puissant entre la détérioration des conditions de travail et l'explosion des inégalités salariales qui caractérisent notre époque ? Pour penser ensemble travail domestique et travail salarié, dominations de classe, de race et de genre ? Allons plus loin : sans lui, il n'y a pas de gauche qui tienne, pas de rencontre solide entre des traditions émancipatrices différentes. Mais pour saisir la dimension décisive d'une nouvelle critique de l'exploitation, encore faut-il en explorer les significations accumulées au fil des deux derniers siècles, redéfinir ses contours à cette lumière, les ajuster à la situation du capitalisme contemporain. Exploiter, ce n'est pas seulement dominer ou assujettir. Précisée et dépliée, la notion retrouve netteté, vigueur et, espérons-le, centralité. -
Mouvementements.
Des mouvements en moi qui ne sont pas de moi, des mouvements par lesquels mes interdépendances avec les autres créatures terrestres remontent à ma conscience. Mouvements de ma respiration, mouvements de ma digestion, mouvements de ma posture qui s'ajuste perpétuellement à la gravité. À passer du temps dans des studios de danse, voilà ce qu'on peut apprendre : nous, mammifères humaines, habitantes de Terra, sommes mouvementées par une multitude de forces. Loin d'être automobiles, loin d'être contenues ou contenables dans la petite usine de nos corps, nous débordons. Les écologies scientifiques nous en convainquent, les écologies politiques nous appellent à en faire une force insurrectionnelle. Et si nous apprenions, avec les
écologies somatiques, à sentir et à célébrer nos débordements plus qu'humains ?
À l'heure où les soulèvements de la Terre se multiplient, ce livre examine la manière dont certaines formes de danse (improvisations collectives, pratiques somatiques, installations chorégraphiques) tentent d'élaborer, dans les plis du monde mondialisé, des antidotes à l'anesthésie. Des manières de nouer nos gestes au-delà des fausses frontières de l'individu et de l'humain. Des manières de danser-sentir-penser l'enchevêtrement de nos mouvements. -
Comment se retrouve-t-on sous hypnose assistant du Bouddha au VIIe siècle avant J.-C. ou propulsé sur Mars en 2071 ? Pourquoi a-t-on imaginé en Inde que les embryons sont dotés d'une super-mémoire, qu'ils se souviennent de leurs " vies antérieures " et oublient tout à la naissance ? Quels processus étranges, excentriques et paradoxaux l'hypnose stimule-t-elle ?
Au moment où les ingénieurs de l'immortalité vont chercher dans le bouddhisme des sources d'inspiration pour renouveler leur conception du corps, de l'esprit et des machines, ce livre écrit par un anthropologue, spécialiste de l'Inde, propose un tout autre chemin. Il entremêle une enquête généalogique sur les transhumanismes d'ici et d'ailleurs, les spéculations anciennes et modernes autour de la métempsycose, de la réincarnation et du sasra, et un véritable dispositif d'expérience : en s'installant à l'intérieur du cabinet d'une psychothérapeute indienne qui pratique l'hypnose " régressive ", Emmanuel Grimaud interroge en temps réel les voyages mentaux pleins de péripéties de ses patients.
Loin de vouloir nous convertir à la réincarnation, ce livre nous invite à observer les mécanismes de l'imagination profonde qui s'enclenchent au niveau de notre cerveau et de notre corps et décortique les visions obtenues comme autant de cinémas hypnotiques amateurs. Qu'advient-il de nos écrans intérieurs dans un contexte de délégation toujours plus poussée de nos facultés à des machines ? -
Lorsque je lis, une voix en moi m'intime de lire (" lis ! "), tandis qu'une autre s'exécute, prêtant sa voix à celle du texte, comme le faisaient les antiques esclaves lecteurs que l'on rencontre notamment chez Platon. Lire, c'est habiter cette scène qui, même lorsqu'elle est intériorisée dans une lecture apparemment silencieuse, reste plurielle : elle est le lieu de rapports de pouvoir, de domination, d'obéissance, bref, de toute une micropolitique de la distribution des voix.
L'écoute attentive de la polyphonie vocale inhérente à la lecture conduit vers ses zones sombres : là où, par exemple chez Sade ou dans des jurisprudences récentes, elle peut devenir un exercice violent, punitif. Mais en prêtant ainsi l'oreille aux rapports conflictuels des voix lisant en nous, on est aussi conduit à revisiter l'idée, si galvaudée depuis les Lumières, selon laquelle lire libère. Les zones sombres de la lecture sont ses zones grises : là où lectrices et lecteurs, en faisant l'épreuve des pouvoirs qui s'affrontent dans leur for intérieur, s'inventent, deviennent autres. Aujourd'hui plus que jamais, à l'ère de l'hypertexte, lire, c'est faire l'expérience des puissances et des vitesses qui nous traversent et trament notre devenir.
Cette archéologie du lire dialogue avec nombre de théories de la lecture, de Hobbes à de Certeau en passant par Benjamin, Heidegger, Lacan ou Blanchot. Mais elle s'attache aussi à ausculter, d'aussi près que possible, de fascinantes scènes de lecture orchestrées par Valéry, Calvino ou Krasznahorkai. -
24/7 ; le capitalisme à l'assaut du sommeil
Jonathan Crary
- La découverte
- Poche / Sciences humaines et sociales
- 8 Septembre 2016
- 9782707194138
Aux États-Unis, la recherche militaire s'intéresse de près à un oiseau migrateur, le bruant à gorge blanche. Sa particularité : pouvoir voler plusieurs jours d'affilée sans dormir. Les scientifiques qui l'étudient rêvent de façonner, demain, des soldats insomniaques, mais aussi, après-demain, des travailleurs et des consommateurs sans sommeil.
" Open 24/7 " - 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 -, tel est le mot d'ordre du capitalisme contemporain. C'est l'idéal d'une vie sans pause, active à toute heure du jour et de la nuit, dans une sorte d'état d'insomnie globale.
Si personne ne peut réellement travailler, consommer, jouer, bloguer ou chater en continu 24 heures sur 24, aucun moment de la vie n'est plus désormais exempt de telles sollicitations. Cet état continuel de frénésie connectée érode la trame de la vie quotidienne et, avec elle, les conditions de l'action politique.
Dans cet essai brillant et accessible, Jonathan Crary combine références philosophiques, analyses de films ou d'oeuvres d'art, pour faire un éloge paradoxal du sommeil et du rêve, subversifs dans leurs capacités d'arrachement à un présent englué dans des routines accélérées. -
Latour-stengers, un double vol enchevêtré
Philippe Pignarre
- La découverte
- Poche / Sciences humaines et sociales
- 13 Avril 2023
- 9782348077593
Certaines grandes amitiés ont marqué l'histoire de la philosophie. À n'en pas douter, celle qui unissait Bruno Latour et Isabelle Stengers est de celles-là. S'ils ont très peu écrit en commun, leur compagnonnage a duré plus de trente ans et leurs oeuvres respectives ne manifestent leur plénitude que si on en saisit les emprunts réciproques et les croisements. Latour et Stengers ont le même point de départ, qui restera au centre de leurs oeuvres : les pratiques scientifiques, dont notre modernité est si fière. Pourquoi nous, Modernes, nous définissons-nous comme ceux qui savent alors que les autres seraient condamnés à croire ? Cette question les a amenés à partager la même préoccupation : comment comprendre et vivre dans ce que Latour appelle le " nouveau régime climatique ", et Stengers un " temps de débâcle " ?
Le but de ce livre n'est pas de rendre à chacun des auteurs ce qui lui appartient, mais au contraire de les intriquer toujours davantage ; de suivre au plus près chaque proposition faite par l'un(e) et reprise par l'autre, toujours selon ses propres moyens.
Alors que de nouveaux auteurs mettent à profit leurs travaux dans des champs divers et que des activistes multiplient les échanges avec eux, ce livre donne un éclairage bienvenu sur cette exceptionnelle aventure d'idées. -
Malgré sa difficulté, la philosophie de Spinoza (1632-1677) a été sans cesse l'objet, depuis bientôt quatre siècles, de lectures passionnées, de controverses mordantes, d'interprétations audacieuses. Autant de raisons qui légitiment et justifient une introduction à Spinoza capable de prendre en compte la profondeur historique et conceptuelle de cette philosophie, autant que ses lectures et ses effets contemporains. Spinoza n'intéresse pas que les philosophes. Les écrivains (de Goethe à Borges, en passant par Flaubert et bien d'autres) le lisent et s'en nourrissent, les artistes aussi (de Vermeer à certains auteurs de bandes dessinées ou créateurs d'expositions contemporaines), les savants (Einstein en tête), les politiques (des conservateurs aux altermondialistes)... La pensée de Spinoza se diffuse aujourd'hui largement jusque dans des best-sellers (d'Irvin Yalom à Frédéric Lenoir).
Pour rendre compte de ce destin singulier, le présent ouvrage replace Spinoza dans ses principales généalogies philosophiques. Il donne un tableau complet et clair du système et des concepts. Il en montre l'originalité et la portée. Il constitue en cela la plus à jour des introductions à Spinoza.